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Bernard Coulaty “L’engagement mutuel et la transformation personnelle sont intrinsèquement liés”

Le monde du travail, hyperconnecté et en constante évolution, recherche un nouveau dynamisme humain face à un marché des talents transformé marqué, entre autres, par des défis technologiques et sociétaux conséquents. Comment les DRH, coproducteurs d’une nouvelle fonction humaine, peuvent transformer l’entreprise ? Comment développer une fonction RH à impact, tout en évitant le “peoplewashing” ? Comment RH et managers peuvent-ils équilibrer technologie et humanité pour encourager l’engagement ? À l’occasion de la sortie de son nouveau livre, “Engager pour transformer”1, nous avons rencontré Bernard Coulaty.

Dans votre ouvrage, vous parlez des managers et des DRH comme les coproducteurs d’une nouvelle fonction humaine. Comment cette collaboration peut-elle transformer l’entreprise ?

J’ai constaté, au cours de mes recherches sur la fonction RH, que le rôle des managers et des DRH pouvait être envisagé sous l’angle de la coproduction d’une nouvelle fonction humaine au sein de l’entreprise. Je suis convaincu que la manière dont la fonction humaine est actuellement partagée entre ces acteurs n’est pas optimale.

Selon moi, l’engagement des employés est mal géré dans les structures actuelles. Pourquoi ? Parce que la division des tâches est trop rigide entre les enquêtes d’engagement, souvent reléguées aux RH, et la gestion quotidienne des équipes, laissée aux managers. Je voulais remettre en question cette dynamique et proposer un modèle commun, favorisant ainsi une transformation organisationnelle plus humaine.

L’accent mis sur le concept de business partner est excessif. Une véritable collaboration entre le management et les RH nécessite une réciprocité, pour former une relation symétrique et équilibrée. Mon objectif avec ce livre est de transformer la dynamique actuelle en entreprise, privilégiant une gestion du travail plus humaine, où chaque employé est écouté et estimé. Cette approche renouvelée vise à garantir que les transformations au sein de l’entreprise soient réalisées dans le respect et la considération de tous les acteurs impliqués.

Quels sont les premiers pas pour initier ce partenariat ?

J’ai élaboré un modèle visant à redéfinir le partenariat entre managers et DRH autour de la fonction humaine partagée, en m’inspirant de l’actuelle tendance des référentiels de compétences. Ce modèle repose sur deux piliers principaux : les missions et les postures. Mon objectif principal était de mieux répartir les responsabilités et d’encourager l’engagement au travail.

Pour les missions, j’ai bâti un modèle composé d’un double axe. Le premier traite de la nature de l’attention : faut-il se concentrer uniquement sur les ressources et talents ou faut-il aussi traiter les relations humaines et l’engagement ? Le second axe distingue les processus et la transformation organisationnelle.

Concernant les postures, j’ai gardé la même philosophie, celle d’un axe double. Le premier axe s’adresse aux managers : comment trouver l’équilibre entre l’exigence et la bienveillance ? Le deuxième axe concerne les DRH : comment garder un équilibre entre l’écoute et l’engagement, au sens de la conviction ? Cette dualité vise à garantir que les DRH ne restent pas simplement des auditeurs passifs mais qu’ils prennent activement part à l’engagement et à la transformation de l’entreprise, tout comme les managers.

En développant ce modèle, j’ai identifié des compétences essentielles – réparties entre les managers et les DRH – avec un système de correspondances croisées entre elles pour assurer que chaque compétence chez les uns trouve son écho chez les autres. Ce modèle se veut être une boussole pour naviguer dans la complexité des relations humaines en entreprise, en définissant clairement ce qui doit être fait pour le bénéfice des collaborateurs et de l’entreprise.

Qu’est-ce que le « peoplewashing », concept que vous avez inventé et que vous développez dans votre livre ?

Le concept de « peoplewashing » fait écho au greenwashing dans le domaine de la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). Il désigne les pratiques des RH consistant à embellir artificiellement l’image de l’entreprise pour attirer les talents, au moyen de promesses, non tenues, ou de représentations idéalisées de la réalité du travail au sein de l’organisation. Ce phénomène se manifeste à travers des success story sélectives, une mise en scène trompeuse de l’environnement de travail, ou encore l’utilisation abusive de labels et de termes élogieux qui ne reflètent pas la réalité, masquant parfois une culture d’entreprise toxique ou un management déficient.

Mon argument principal consiste à dire que les RH devraient privilégier l’authenticité et l’humilité dans la marque employeur, favorisant alors une image réaliste de l’entreprise qui aligne les promesses avec l’expérience vécue par les collaborateurs. Cela contribue à attirer des talents de manière plus durable et à éviter le risque que les nouveaux employés quittent rapidement l’entreprise ou pire encore, se désengagent. Le défi est de trouver un équilibre entre la séduction des candidats et la volonté de rester fidèle à la réalité de l’entreprise.

Vous soulignez l’importance de développer une fonction RH à impact. Quels sont les principaux défis pour les RH dans la mise en place d’une stratégie RH authentique et engagée ?

Au cours de mes recherches, j’ai mis en lumière plusieurs paradoxes fondamentaux parmi lesquels les professionnels RH doivent naviguer pour développer une stratégie RH authentique et engagée dans le paysage professionnel actuel, caractérisé par sa volatilité, sa complexité et son incertitude.

Il y a d’abord le paradoxe de l’individualité. Aujourd’hui, il existe un désir croissant des employés d’être pleinement eux-mêmes au travail, tout en désirant maintenir une séparation claire entre leur vie professionnelle et personnelle. Ce paradoxe souligne la difficulté de concilier l’expression de l’individualité avec la protection de la vie privée et du temps personnel.

Le deuxième paradoxe est un défi majeur pour les RH : celui de promouvoir des managers capables d’allier exigence et bienveillance. Les meilleurs leaders sont ceux qui savent à la fois challenger leurs équipes pour les faire grandir et les protéger. Ce paradoxe interroge sur les critères de nomination des managers et sur la manière de revitaliser l’attrait pour la fonction.

Le troisième paradoxe réside dans le désir d’embrasser la diversité tout en cherchant à aligner tous les membres de l’organisation sur une vision, des valeurs et une culture communes. La gestion de ce paradoxe nécessite de trouver un équilibre entre la promotion de la diversité et le maintien d’une culture d’entreprise forte. Les RH doivent jouer un rôle plus actif dans les décisions relatives à l’organisation de l’entreprise, souvent laissées aux managers, dirigeants ou consultants externes. 

Enfin, le rôle de business partner exige des RH de servir les intérêts de l’entreprise tout en étant prêtes à remettre en question les orientations du business pour protéger les valeurs et la culture de l’organisation. Ce défi souligne la nécessité pour les RH de maintenir une dualité dans leur rôle : être à la fois le soutien et le gardien des principes fondamentaux de l’entreprise.

Avec l’accélération de la transformation digitale, comment les RH et les managers peuvent-ils maintenir un équilibre entre technologie et humanité pour favoriser un engagement authentique ?

Cette tâche n’incombe pas uniquement aux RH mais aussi aux dirigeants, qui doivent décider de la place à accorder à la transformation digitale au sein d’une stratégie globale. Je pense que la transformation digitale est avant tout une transformation comportementale, nécessitant une adaptation des comportements plus qu’une simple intégration technologique.

Les RH et les managers doivent appréhender l’intelligence artificielle comme un levier de productivité et non comme un substitut au capital humain. Il est important de privilégier une approche qui renforce plutôt qu’elle ne remplace les compétences humaines. Pour naviguer avec succès dans l’ère digitale, les organisations doivent devenir plus agiles, favorisant des structures moins verticales et plus horizontales. Cette orientation permet de mieux intégrer les technologies qui, par nature, tendent à horizontaliser les relations de travail. Je pense qu’il faut également développer le concept d’organisation apprenante, pour que les collaborateurs restent en veille technologique continue. Les RH jouent un rôle pivot dans l’éveil et la formation des salariés à cette transformation majeure.

Enfin, et c’est peut-être le point le plus important, le télétravail. Il requiert des ajustements dans la gestion de l’espace et du temps de travail. Les RH doivent veiller à maintenir une connexion émotionnelle et physique entre les collaborateurs, malgré une tendance croissante à la dispersion. Il est essentiel de préserver, voire de réenchanter, les rituels d’équipe et les interactions présentielles pour conserver une cohésion et une dynamique collaborative efficace.

Ces approches montrent la nécessité d’une vision intégrée et consciente pour naviguer dans l’ère digitale, où les avancées technologiques doivent être mises au service de l’humain, soulignant l’importance d’équilibrer progrès technique et valeurs humaines.

Comment avez-vous eu l’idée de ce livre ?

Dans mon ouvrage précédent, « Engagement 4.0 », j’avais exploré les profils d’engagement individuel et défini des modèles de collaborateurs engagés. Fort de cette expérience, j’ai conçu un programme exécutif à l’IESEG, intitulé « Transformation et développement humain », réunissant des professionnels RH et des managers opérationnels. L’objectif ? Les former ensemble à des concepts et pratiques communs, favorisant ainsi une fonction humaine partagée.

La création de ce programme et son succès m’ont poussé à réfléchir plus profondément à la relation entre l’engagement et la transformation, aboutissant à la rédaction de ce livre comme un manuel de référence. L’idée centrale qui en découle est que l’engagement mutuel et la transformation personnelle sont intrinsèquement liés : s’engager soi-même permet de transformer les autres, et se transformer incite également les autres à s’engager. Cette dynamique souligne l’importance d’avoir des convictions fortes, un ADN commun et des postures partagées entre RH et managers opérationnels.

​​Le programme répond particulièrement aux besoins des DRH issus d’un parcours opérationnel. Il offre des perspectives stratégiques sur le changement organisationnel, sans se focaliser sur les aspects plus traditionnels de la fonction RH. Cette approche reflète un changement dans la perception et la gestion des ressources humaines, mettant en avant les aspects stratégiques et de développement personnel essentiels à la transformation et à l’engagement au sein des entreprises contemporaines.

  1. Engager pour transformer : Managers et DRH, coproducteurs d’une nouvelle fonction humaine, éditions EMS ↩︎

Stéphane a développé son appétence pour la création de contenus au cours de plusieurs expériences variées, en start-up et en agence. Passionné par l’univers des ressources humaines, tout particulièrement par la marque employeur et le recrutement, il officie chez Parlons RH en qualité de Content Manager. À la suite de sa licence Économie-Gestion, il obtient un Master 2 en Communication et Management du sport à l’ESG Management School de Paris.

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