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Jonathan Pottiez : “En 2024, la formation devrait donner les moyens aux individus de devenir de véritables apprenants modernes”

Acteur majeur de la formation professionnelle, Jonathan Pottiez est particulièrement reconnu pour son expertise en évaluation de la formation. Son ouvrage de référence “L’évaluation de la formation”, réédité à trois reprises, est d’ailleurs une véritable bible sur le sujet. Entre intelligence artificielle, “apprenants modernes” et méthode éprouvée d’évaluation de la formation, le responsable de l’Académie Agesys, par ailleurs Docteur en sciences de gestion et consultant indépendant, revient aujourd’hui sur les tendances qui rythmeront l’année 2024 des fonctions RH et formation.

LA tendance RH qui fera 2024 ?

Il est difficile de ne pas évoquer l’intelligence artificielle ! C’était déjà clairement un sujet central en 2023. Je pense que 2024 devrait accélérer l’application de l’IA dans le domaine des RH, et notamment de la formation. La mise en place de principes éthiques pour guider et encadrer l’utilisation de l’IA en entreprise devrait s’inscrire à l’agenda des professionnels des RH cette année.

Celle qui va droit dans le mur ?

Le métavers. Plus le temps passe, plus l’on en voit le revers de la médaille. Au-delà de la « jolie vitrine », on peut noter des risques majeurs en matière de sécurité et de confidentialité des données. Mais aussi de désengagement et de déconnexion des employés avec le réel (employés qui, paradoxalement, plaident de plus en plus pour un retour à des activités « physiques », présentielles). Enfin, le metavers présente des impacts environnementaux conséquents.

En formation, je crois beaucoup plus au recours à des solutions pragmatiques et éprouvées, qui rapprocheront davantage l’acte d’apprentissage des situations de travail réelles, et non virtuelles.

Avec l’obsolescence de plus en plus rapide des compétences, la formation a-t-elle toujours un sens ?

Oui ! Mais tout dépend de ce que l’on considère comme étant de la formation. Pour s’adapter en continu et être réactif face aux changements, les individus ne pourront plus se permettre d’attendre la planification et la réalisation de telle ou telle formation demandée quelques mois plus tôt. Nous disposons de cette base de connaissances mondiales qu’est Internet et d’un nombre croissant d’outils pour l’exploiter, dont l’IA. Ainsi, la plupart des individus disposent des ressources nécessaires pour apprendre en continu et peuvent « se passer » de nombreuses actions de formation formelles. Encore faut-il que ces individus aient appris à apprendre et qu’ils soient en mesure de transférer leurs acquis dans leurs pratiques.

Dans un monde idéal, à quoi ressemblerait la formation en 2024 ?

En 2024, la formation devrait de plus en plus donner les moyens aux individus de devenir de véritables apprenants modernes. Capter des informations, les organiser, les capitaliser, les intégrer dans des schémas mentaux pour les faire évoluer, créer de nouvelles connaissances, les tester en situations réelles pour progressivement en faire des compétences, les ancrer pour en faire des habitudes quotidiennes… Ce sont autant de compétences à développer pour incarner cet apprenant moderne. 

J’ai la conviction que, désormais, l’individu qui s’en donne les moyens pourra développer ses compétences des années durant, sans jamais suivre une seule heure de formation formelle. Tout au moins, il n’en fera plus son mode d’apprentissage privilégié.

L’évaluation de la formation : un enjeu prioritaire cette année ?

Oui, clairement, surtout en raison de la diversification croissante des modalités d’apprentissage et de l’accélération de la diffusion d’innovations technologiques. Plus il y a de manières de se former et d’apprendre différentes, plus il est nécessaire de disposer de modèles et de méthodes pour distinguer ce qui est efficace de ce qui ne l’est pas. Cela évitera justement de tomber dans l’effet de mode et de se faire avoir par des pseudo-innovations pédagogiques ou technologiques qui n’ont pas d’impact démontré.

3 bonnes pratiques pour évaluer la formation de manière optimale ?

La mesure des actions de formation formelles peut bénéficier de l’utilisation des quatre niveaux d’évaluation de Kirkpatrick. Il est judicieux de définir des critères de succès avant les formations, qui deviendront ensuite des critères d’évaluation.

Pour évaluer les formations et les apprentissages informels, il est déconseillé de chercher à mesurer chaque élément ou d’envoyer des questionnaires de manière excessive dès qu’une opportunité d’apprentissage se présente. Cependant, il est judicieux de mettre en place un « baromètre entreprise apprenante » interrogeant les collaborateurs sur la pertinence des ressources mises à leur disposition par l’entreprise pour favoriser leur développement. Ce baromètre pourrait également explorer la culture d’apprentissage de l’organisation en évaluant son soutien à la curiosité, à l’innovation, au partage de connaissances…

Enfin, une troisième bonne pratique serait d’utiliser les données recueillies pour améliorer en continu le système de formation de l’entreprise. Évaluer pour évaluer n’a aucun sens. L’évaluation doit faciliter le passage à l’action.

L’IA au service de la formation : pour 2024… ou pour plus tard encore ?

En 2023, nous avons déjà pu observer plusieurs développements et applications dans ce domaine, notamment l’aide à la conception de modules de formation, à la personnalisation des parcours, à l’orientation des apprenants… En ce qui concerne l’évaluation, plus spécifiquement, l’utilisation des IA génératives peut être bénéfique pour construire des questionnaires, analyser les données, élaborer des rapports d’évaluation etc. Gageons qu’en 2024, les choses vont encore s’accélérer. Les professionnels de la formation auront alors deux choix : soit utiliser l’IA en remplacement de ce qu’ils font actuellement, quitte à se faire progressivement remplacer et, donc, « se tirer une balle dans le pied ». Soit utiliser l’IA intelligemment comme assistante pour la réalisation de tâches à plus faible valeur ajoutée, mais sans jamais se faire déposséder de leurs capacités créatives et analytiques.

La balle est dans leur camp !

> Tendances RH 2024 : retrouvez notre dossier complet.

Sportifs, politiques, médecins, entrepreneurs, humoristes etc. : 24 personnalités prennent la parole afin de nous livrer leur vision des RH et du monde professionnel de l’année à venir. Leurs interviews sont à retrouver du 15 décembre au 18 mars, sur le média Parlons RH. 

Crédit photo : @Ercole Salinaro

Passionnée par la création de contenu et le marketing digital, Manon est Content Manager chez Parlons RH. Avant de rejoindre l’agence, elle a exercé en tant que rédactrice-correctrice, puis elle a côtoyé l’univers des start-up. Ses domaines de prédilection RH tournent autour de l’expérience collaborateur et de la formation, en particulier du digital learning. Manon est titulaire d’une licence en communication et relations presse et d’un master en content marketing.

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  • Ça fait du bien de vous lire, je me sens moins seule pour danser… C’est comme de la musique à mes oreilles! Bonne journée :)

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