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“Il n’y a aucune honte à vivre un burn-out”

Le burn-out ne survient pas du jour au lendemain. Il s’installe à bas bruit, alimenté par le surengagement, la difficulté à dire non, la peur de ne pas être à la hauteur. Apprendre à poser des limites est devenu une compétence vitale, trop souvent ignorée, y compris dans la fonction RH. Quels sont les signes avant-coureurs du burn-out à repérer ? Comment créer des environnements de travail qui permettent de dire non sans culpabiliser ? Comment redonner du sens à la question « comment vas-tu ? » pour qu’elle ouvre un espace d’échange authentique ? Entretien sincère, lucide et profondément humain avec Christilla de Foresta, aujourd’hui DRH externalisée et consultante en transformation organisationnelle, qui revient sur les enseignements qu’elle tire, encore aujourd’hui, de son burn-out.

1. Pouvez-vous nous raconter votre histoire ?

Je travaille dans les RH depuis plus de 25 ans. J’ai connu des secteurs, des entreprises et des contextes très différents. Bizarrement, c’est un métier que je n’ai pas choisi au départ… mais que j’ai “rechoisi”, plusieurs fois, en conscience, au fil des années.

Je suis quelqu’un de très engagé, avec un fort sens du devoir. J’ai toujours eu à cœur de faire les choses à fond, de tenir mes engagements, d’être à la hauteur des enjeux. Je me mets une pression énorme pour bien faire, souvent plus que ce que la situation exige réellement. Je suis perfectionniste, rigoureuse, exigeante avec moi-même, et j’avais cette tendance à vouloir tout anticiper, tout résoudre. Je ne lâche pas facilement.

En revanche, ce qui m’a conduite au burn-out ne vient pas uniquement de moi. Ce serait une lecture trop réductrice, et d’ailleurs, c’est justement parce que je n’arrivais pas à regarder ailleurs que vers moi-même que j’ai tenu si longtemps en puisant trop loin dans mes ressources. Le contexte professionnel dans lequel je me trouvais était particulièrement exigeant : un nouveau poste, donc la nécessité de faire ses preuves rapidement, de construire la confiance, tout en pilotant plusieurs projets stratégiques dans un environnement en forte croissance. Le rythme était intense, les attentes élevées, et peu d’espaces pour déposer ses difficultés ou partager ses doutes. Je pensais que la posture d’une DRH était d’être forte, de tenir coûte que coûte, d’avancer dans l’adversité.

À cela s’ajoutaient, au même moment, des difficultés importantes dans ma vie personnelle. Sur tous les fronts, je me sentais en vigilance constante, en mode “gestion de crise”, sans répit. Pourtant, j’ai continué à avancer, à vouloir tout tenir, seule, sans me plaindre. Et surtout, je n’ai pas su demander d’aide. Je pensais que c’était cela, la responsabilité. Je ne partageais ni mes doutes, ni mes fragilités, convaincue que je “devais y arriver”.

C’est ce cumul, les exigences internes, le contexte professionnel tendu, les tensions personnelles, qui m’a poussée jusqu’au burn-out. Et puis un jour, c’est le corps qui a dit stop. Le mental avait pris le dessus trop longtemps. 

Cela m’a obligée à tout reconsidérer. J’ai lu, j’ai cherché à comprendre, j’ai fait un vrai travail sur moi. Et une nouvelle fois, je me suis posé cette question : est-ce que ce métier est encore fait pour moi ? La réponse est oui… mais plus comme avant.

Aujourd’hui, je continue, autrement. J’ai appris à faire la part des choses. À distinguer ce qui relève de moi, et ce que je peux vraiment transformer, de ce qui appartient aux autres ou au système. Je ne cherche plus à tout porter. Je sais poser des limites et demander de l’aide. Mon rôle, c’est d’être là, de soutenir, d’accompagner… sans m’oublier. Et rien que ça, ça change tout.

C’est ce chemin qui m’a menée à créer Tempoviz, ma propre structure. J’interviens aujourd’hui comme DRH externalisée et consultante en transformation organisationnelle, avec une posture plus claire, plus alignée, et plus durable. Pour moi. Et pour les autres.

2. Quels ont été pour vous les signes avant-coureurs de votre burn-out ?

Il y a une dizaine d’années, j’ai quitté un environnement familier pour un nouveau défi RH. Un poste passionnant, très prenant. Au même moment, je traversais une période de turbulences dans ma vie personnelle. J’ai toujours vu l’équilibre comme un trépied : le pro, le perso, le social. Quand deux pieds lâchent, tout vacille. C’est exactement ce qui s’est passé.

Les premiers signes ont été discrets. Un peu d’inquiétude, des doutes que je gardais pour moi. Les nuits ont commencé à se dérégler : d’abord, des difficultés à m’endormir ; ensuite, des insomnies. Je me réveillais épuisée, j’avais la boule au ventre en partant au travail. L’anxiété s’était installée. Constante. Et avec elle, la honte de ne pas y arriver. De ne pas être à la hauteur.

Alors j’ai fait ce que je savais faire : j’ai redoublé d’efforts. Je me suis surinvestie. Jusqu’au jour où je me suis réveillée en me disant : « Je ne peux pas me lever. »  Finalement, je me suis levée, je suis allée au travail, et j’ai parlé.

J’ai dit ce que je ressentais. Mon épuisement. Mes doutes. Mon sentiment de ne pas être légitime. J’ai même demandé à être licenciée, persuadée qu’on s’était trompé sur moi. En retour, j’ai été écoutée, soutenue, reconnue. Cette écoute a tout changé. Peu à peu, j’ai commencé à me reconstruire.

J’ai eu cette chance d’être dans une organisation capable d’entendre ma vulnérabilité. Je sais que ce n’est pas le cas partout. Pour celles et ceux qui n’ont pas cette chance, il existe d’autres espaces où la parole peut être accueillie. Même des années plus tard, la parole libère. Encore faut-il un cadre sécurisant pour la déposer. Il n’y a aucune honte à vivre un burn-out.

3. Selon vous, comment les entreprises doivent-elles s’organiser pour permettre à chacun, y compris les RH, de poser des limites sans se sentir coupable ou isolé ?

Selon moi, s’occuper uniquement de l’individu revient à traiter les symptômes sans jamais s’attaquer aux causes profondes. Peut-être qu’il faudrait d’ailleurs arrêter de parler de « santé mentale » pour préférer un terme comme « performance mentale », moins stigmatisant. Pour agir efficacement, il faut intervenir à trois niveaux : organisationnel, collectif et individuel.

Au niveau de l’organisation, il est essentiel d’assumer un cadre clair. Cela signifie poser des limites explicites, accepter ses imperfections dans une logique d’amélioration continue et piloter les vulnérabilités des salariés pour en faire une force, plutôt qu’un risque à éviter. Cela passe par la création d’instances et d’outils de régulation capables de suivre à la fois la santé mentale des collaborateurs, les dynamiques inter équipes et la santé économique de l’entreprise. C’est un triptyque à équilibrer en permanence.

Sur le plan collectif, il faut construire un cadre à la fois sécurisant et structurant. Cela suppose une approche managériale centrée sur la création de liens, la clarté des attentes, le feedback et la régulation. Comme les EPI sont obligatoires dans l’industrie, il faudrait instaurer une culture de la sécurité psychologique tout aussi incontournable. Ce n’est pas un bonus ou un « plus » : c’est une nécessité. La culture du feedback bidirectionnel, lorsqu’elle est sincèrement partagée, constitue une réponse concrète à la performance des collectifs.

Enfin, à l’échelle individuelle, chacun doit apprendre à mieux se connaître, à poser ses limites, à dire non quand c’est nécessaire. Ce n’est pas quelque chose d’inné, et il faudrait presque l’enseigner dès l’école. Au fond, la seule personne réellement capable de prendre soin de nous… c’est nous-même. Et comme toute relation est réciproque, l’individu doit également chercher à comprendre l’entreprise, ses limites et chercher des améliorations à la performance collective. Une fois qu’il est acteur de sa propre santé, il devient alors un acteur de la santé de l’entreprise.

Quelques leviers simples peuvent déjà faire une grande différence : 

  • Cartographier les zones de flou à partir de la vision et des objectifs de l’entreprise, pour y apporter de la clarté par un cadre lisible au service de chacun. Par exemple sur le télétravail, les horaires, la transparence des rémunérations, les rôles ou encore les attentes comportementales ;
  • Créer des espaces d’équipe dédiés à la régulation des tensions interpersonnelles et à l’expression des désaccords ;
  • Mettre en place des entretiens individuels de feedback qui permettent de faire le point, de clarifier les attentes, de dire ce qui fonctionne et ce qui ne va pas ;
  • Enfin, sensibiliser chacun à la connaissance de soi, afin que chacun puisse poser ses limites dans un cadre collectif clair et partagé.

4. Diriez-vous qu’il existe une forme de solitude propre aux DRH ?

Oui, bien sûr qu’il existe une forme de solitude propre aux DRH. On prend soin des autres, on porte les tensions, on assure la cohésion, la performance… mais qui prend soin de nous ? C’est une fonction à la croisée de multiples enjeux, humains, économiques, juridiques et technologiques, et il est facile de s’oublier en route. Cette solitude, je l’ai connue. Ce n’est pas une fatalité, il faut activement chercher à la déconstruire.

Depuis mon burn-out, j’ai toujours essayé de m’entourer. Une ou deux personnes capables d’accueillir mes doutes, non pas en tant que DRH, mais en tant que Christilla, salariée parmi d’autres. Des personnes qui savent faire miroir, sans juger, sans ramener à l’entreprise ou au poste. Souvent, ce sont des collègues de direction, en dehors de la fonction RH. J’essaie également de créer des espaces de parole pour moi-même dans mon équipe même si c’est moins évident quand on est manager. En tous les cas, je pars du principe qu’en tant que manager, je peux faire part de mes difficultés et de mes vulnérabilités pour inciter l’équipe à en faire de-même. 

Ce que je cherche, ce sont des relations d’adulte à adulte. Quelqu’un qui ne cherche pas à conseiller, mais simplement à écouter. Ce que j’attends, c’est du soutien, de la présence. J’ai également fait évoluer les choses dans ma vie personnelle. Longtemps, j’ai voulu préserver mes enfants. Maintenant qu’ils sont plus grands, je m’autorise davantage à partager avec eux ce que je traverse. Plus globalement, je m’autorise à dire quand ça ne va pas.

Cela dit, je crois que cette solitude ne touche pas que les DRH. Elle concerne tous les métiers. À force de pointer nos différences, on a tendance à oublier ce qui nous relie. Il est temps de retisser du lien, de remettre au cœur de notre quotidien ce qui nous réunit, nos ressemblances, ce « faire ensemble » qui, au fond, est notre seule vraie force.

5. Pensez-vous que le fait d’évoluer dans une entreprise perçue comme “bienveillante” ou “à l’écoute” rend, paradoxalement, plus difficile le fait d’admettre que l’on va mal ?

Oui, c’est souvent plus difficile d’oser dire que ça ne va pas quand on évolue dans une entreprise perçue comme bienveillante. On se dit qu’on n’a pas le droit d’aller mal, puisque tout semble réuni pour aller bien. C’est là que le décalage se crée. La QVCT peut devenir une façade, un outil d’image, alors qu’en coulisses, le malaise existe. Résultat : on culpabilise, on doute, on se tait.

Ce qui manque, c’est le parler vrai. Dire ce qu’on ressent, ce qu’on réussit, ce qu’on rate. Dire quand on est bien, mais aussi quand ça coince. La clé, selon moi, c’est la culture du feed-back dans les deux sens : du collaborateur vers l’organisation, et l’inverse. C’est ce dialogue qui permet de poser les choses.

Quand on me demande s’il existe une astuce pour faire parler quelqu’un, je réponds non. Pas d’astuce, une posture. S’arrêter, regarder la personne dans les yeux, lui demander “comment vas-tu ?” avec sincérité. Juste ça. Ne pas poser la question à la volée, mais créer un véritable espace de dialogue. Montrer qu’on est disponible, qu’on peut s’arrêter vraiment si quelqu’un en a besoin.

C’est cette présence qui donne la permission de parler. Cela ne se fait pas en un jour car la confiance se construit au fil du temps. Mais lorsque l’on a prouvé que l’on sait s’arrêter, écouter, accueillir même ce qui dérange, alors les gens parlent.

Concrètement, cela passe aussi par un agenda raisonnable. Si tout est calé à la minute, il n’y a plus de place pour l’imprévu, pour l’humain. Il faut prévoir des temps de respiration, pour soi et pour les autres. Être dispo, c’est aussi ça, le rôle du manager.

Et au fond, tout revient à une chose : savoir poser des limites. Pour soi, pour les autres. C’est simple en théorie, mais cela demande de la conscience de soi, du courage et de la constance.

6. S’il fallait réécrire le scénario, à quel moment auriez-vous changé le cours de votre histoire ?

Je ne changerais pas grand-chose, si ce n’est que l’on m’enseigne très tôt qu’on a le droit, et même le devoir, de poser des limites. Ce burn-out a été une épreuve, mais aussi un déclencheur. Il m’a profondément transformée. Je doute encore, bien sûr, mais j’ai appris à repérer mes signaux faibles, à les écouter sans les balayer d’un revers de main. Je ne remets plus en question ce que je ressens. Je le prends au sérieux, je le mets en dialogue avec les autres, et c’est comme cela que j’avance aujourd’hui, plus solide, plus alignée.

Désormais, je transmets. Je travaille sur un livre blanc dédié à la santé mentale et sur un parcours d’accompagnement centré sur la régulation, à tous les niveaux : individuel, collectif, organisationnel. C’est un sujet crucial, reconnu grande cause nationale en 2025. Et les entreprises sont un terrain idéal pour tester, ajuster, transformer. On peut faire bouger les lignes, ensemble.

Je crois beaucoup au “care management”. Une approche pensée pour toutes celles et ceux qui prennent soin des autres au quotidien : dirigeants, DRH, managers, coachs, médecins du travail, élus du CSE… ou toute personne engagée. L’idée est simple : aider chacun à poser ses limites. Aider aussi l’organisation à jouer son rôle de garant, en inscrivant durablement une culture de la régulation. Et surtout, offrir un espace de supervision à tous les aidants. Ceux qui soutiennent les autres ont, eux aussi, besoin de soutien.

Stéphane a développé son appétence pour la création de contenus au cours de plusieurs expériences variées, en start-up et en agence. Passionné par l’univers des ressources humaines, tout particulièrement par la marque employeur et le recrutement, il officie chez Parlons RH en qualité de Content Manager. À la suite de sa licence Économie-Gestion, il obtient un Master 2 en Communication et Management du sport à l’ESG Management School de Paris.

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