L’entendez-vous, vous aussi ? Ce silence assourdissant. Ce néant acoustique pour le moins suspect. Jamais de plaintes, zéro vague, aucun clash ni de coup de mou. Pas de signal faible détecté, de burn-out déclaré ou d’alerte RH déclenchée. L’ambiance est bonne, les réunions s’enchaînent sans accroc, les équipes vont « globalement bien ». Trop bien, peut-être… car lorsque personne ne dit que ça ne va pas, c’est rarement que tout va bien, mais plutôt que tout le monde a compris qu’il valait mieux se taire.
Un silence arrangeant, qui masque ce que les chiffres, eux, ne taisent pas : en 2025, 45 % des salariés français déclarent souffrir de troubles psychologiques liés au travail, contre 41 % un an plus tôt1. Le mal-être est bien là, mais il reste sous les radars. Pas vu, pas pris. Parce que dans bien des organisations, la santé mentale reste un sujet que l’on contourne, un tabou que l’on évite poliment ou que l’on maquille habilement. Or, faire taire la souffrance psychologique ne la fait pas disparaître, et confondre calme apparent avec environnement épanouissant s’avère une grave et coûteuse erreur.
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Parler de santé mentale en entreprise a longtemps été assimilé à signer son propre arrêt de mort professionnel. « Trop fragile », « pas assez solide pour supporter la pression », « pas fait pour travailler en entreprise ». Alors, la parole s’est tue. Les émotions ont été intériorisées. L’échine a soigneusement été courbée face au résigné et non moins fameux « c’est comme ça ». Le stress s’est imposé comme un ingrédient classique de la vie professionnelle et bosser en apnée est devenu la norme. Pire encore : être constamment débordé a même été érigé comme un signe de réussite et de reconnaissance sociale : « il travaille beaucoup alors il doit être important ».
Résultat : des générations entières de salariés convaincues que s’arrêter, c’est trahir. Qu’admettre une fatigue mentale, c’est prendre le risque d’être placardisé. Qu’être un « bon élément », c’est dire oui à tout, tout le temps. Et tant pis si les nuits sont courtes ou agitées, si la charge mentale explose et si l’envie de tout plaquer devient une pensée récurrente.
Ignorer la santé mentale des salariés, n’est pas « juste » une question humaine. C’est aussi un gouffre économique. L’OMS estime que l’anxiété et la dépression coûtent chaque année plus de 1 000 milliards2 de dollars en perte de productivité dans le monde.
Et pour cause, en France par exemple, l’absentéisme croît un peu plus chaque année depuis 2016 (en 2024, il fut de 4,5%3 grimpant de 7% versus 2023 et de 41% depuis 2019). L’une des raisons de cette flambée : des arrêts de longue durée qui explosent (+ 58%3 en 5 ans) provoqués, de plus en plus, par des troubles psychologiques (31%4 des arrêts longs en 2023 versus 14% en 2020).
Pourtant, la parole autour de la santé mentale reste souvent muselée. Loin d’être un apaisement, ce silence forcé est une sorte de mise en veille collective. Une désactivation des émotions pour rester dans les clous et ne pas détourner le regard du sacro-saint « business first »… and only. La (sur)charge mentale permanente devient alors un « défi stimulant », le présentéisme toxique est rebaptisé « engagement ». Et la santé mentale des collaborateurs part doucement, mais sûrement, à vau-l’eau.
Une conséquence inévitable car lorsque la loi du silence est légion, les émotions s’accumulent en sourdine, jusqu’à ce qu’elles explosent : arrêts à répétition, burn-out, désengagement massif. On cherche alors des causes extérieures. On regarde les chiffres. On lance une nième enquête de climat interne. Or, dans bien des cas, ce n’est pas le signal qui fait défaut, mais l’espace pour le formuler et l’autorisation de le faire entendre. Et tant que l’entreprise ne s’interrogera pas sur ce qui empêche de parler, elle continuera à découvrir trop tard que ses équipes allaient déjà mal.
Alors comment faire émerger la parole concrètement, utilement, durablement ?
D’abord en brisant le mythe du bon soldat muet et infaillible. En acceptant qu’un bon élément n’est pas celui qui encaisse tout sans broncher, mais celui qui sait exprimer et poser ses limites, pour sa survie et celle de l’entreprise.
Ensuite, en incarnant. Lorsqu’un manager ose dire qu’il ne va pas bien, il souligne que la vulnérabilité n’est pas une faiblesse, mais une donnée humaine à considérer, et autorise, par ricochet, ses équipes à en faire de même. Lorsque les RH abordent le sujet ouvertement et sans attendre une crise, elles instaurent, elles aussi, un climat de confiance.
Faire de la place à la parole, c’est aussi tirer un trait sur les injonctions à la performance quoi qu’il en coûte. C’est déconstruire la valorisation toxique du présentéisme, y compris en osant poser des limites claires : non, ce n’est pas bon signe (et c’est encore moins louable) de travailler tous les soirs jusqu’à 21h. Oui, il faut sanctionner les comportements managériaux qui découragent ou ridiculisent la vulnérabilité.
Enfin, libérer la parole, ce n’est pas tendre un micro et espérer que quelqu’un s’en saisisse. C’est former les managers à questionner sans discontinuer et à écouter sans juger. C’est protéger ceux qui s’expriment. Et surtout, c’est agir tangiblement une fois les maux courageusement exprimés avec des mots. Parce qu’un salarié qui parle et n’est pas entendu, ne parlera assurément pas deux fois.
Crédit photo : Image générée par l’IA générative Ideogram
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