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Test de recrutement : comment en tirer le meilleur parti ?

Lors de HR Technologies France, Arnaud de Beer, psychologue chercheur chez Cebir, un fournisseur de tests psychotechniques, a animé la conférence : « Comment dévoiler le potentiel des candidats ? L’approche innovante des tests adaptatifs ». Le temps d’une interview empreinte de bienveillance, nous avons fait le point sur l’utilisation des tests en recrutement.

Une sélection sur CV ou un simple entretien ne suffit pas toujours pour garantir un recrutement. Comment s’assurer que le candidat correspond au poste, dispose des compétences requises, mais est aussi en adéquation avec les valeurs de sa future entreprise ?  De nombreuses options s’ouvrent aux recruteurs : test de connaissances, test de compétence, test de personnalité, tests de mise en situation professionnelle… Mais quelle est la plus adaptée ?  En 2022, 46% des professionnels des RH ont eu recours à des tests dans leurs processus1.

À quoi sert un test de recrutement ?

Faisons un peu d’histoire. Saviez-vous que c’était un français qui avait inventé les tests de sélection ? En 1905, à la demande du gouvernement, le psychologue Alfred Binet crée un test pour orienter vers l’enseignement spécialisé les élèves qui n’avaient pas le niveau de l’enseignement général. Il va donc publier une échelle métrique de l’intelligence. Cette invention sera l’une des découvertes les plus importantes en psychologie.

Plus tard, ce type de test sera repris par les États-Unis en 1917 pour classer et orienter de manière rapide, fiable et peu coûteuse les 1,7 million de recrues envoyées au front.

Dans ces deux exemples, le test est une occasion d’avoir un aperçu du niveau intellectuel des candidats. Par la suite, les tests de personnalité, de connaissances et de compétences sont venus enrichir les batteries des recruteurs. Le but étant de trouver les profils intéressants, et de mesurer l’adéquation entre le profil du candidat et le poste à pouvoir.

Qu’est-ce qu’un “bon” test de recrutement ?

C’est une question importante, car les professionnels des RH ne s’y connaissent pas toujours. Certaines étapes sont indispensables à la mise en place d’un “bon” test : identifier les compétences, connaissances ou traits de personnalité à évaluer, sélectionner les tests pertinents en fonction de son objectif et s’assurer que les tests choisis sont valides, fiables et normés.

En effet, il y a 3 attendus d’un bon test :

  • La validité : est-ce que le test mesure ce que je souhaite ?
  • La fiabilité (aussi appelé fidélité) : quelle est la précision de cette mesure ?
  • La qualité des normes : puis-je comparer les résultats obtenus à une population représentative du marché de l’emploi ?

Si un candidat passe le même test plusieurs fois, et que la fiabilité de ce test est basse, le recruteur obtiendra des résultats incohérents. Pour décider d’embaucher quelqu’un ou non sur la base d’un test, les normes internationales conseillent d’avoir un indice de fiabilité de 0,8. De manière générale, on considère qu’une mesure d’un test sera suffisamment précise pour être prise en compte à partir d’une fiabilité de 0,7.

En outre, un bon test doit trouver un équilibre entre la durée et la précision. Les tests plus courts peuvent être tentants, car ils seront souvent moins chers et plus faciles à mettre en place. Cependant, ils seront également moins précis.

La qualité des normes est aussi un aspect important. Il ne sera pas pertinent de comparer les résultats d’un questionnaire de personnalité passé par un candidat français à une population d’étudiants aux États-Unis. Le créateur du test doit donc s’assurer que les tests ont été étalonnés, normés, et que cette population compte au moins 400 personnes pour être statistiquement viable.

Il est enfin à noter que certains types de tests permettent de mieux prédire la performance future des candidats. Les tests de raisonnement sont à ce titre les plus performants. On retrouve ensuite les tests de connaissance, de personnalité et les mises en situation. Ces catégories de tests sont en moyenne de meilleurs critères de sélection que le nombre d’années d’étude, l’expérience ou que les références des candidats par exemple. L’étude de l’APEC Pratiques de recrutement des cadres 2023 note à ce sujet que les tests les plus fréquents sont la mise en situation professionnelle (26%), le test de personnalité (20%), le test de langue étrangère (16%) et le test psychotechnique (14%).  Les tests psychotechniques sont donc peu utilisés alors qu’ils sont souvent très pertinents et prédicteurs de la performance future.

Un test peut-il remplacer un entretien avec un recruteur ?

Je vois les tests comme un outil qui va aider le recruteur, mais pas quelque chose qui va se substituer à l’entretien. En revanche, un test pourra être plus efficace qu’un tri de CV dans une étape de présélection. Si une entreprise a trop de candidats pour tous les rencontrer, elle peut décider de filtrer les profils ayant eu un résultat trop bas à un test de raisonnement.

Pour des raisons scientifiques, une interview structurée reste l’un des éléments les plus prédictifs de la performance future d’un candidat. Je trouverai donc dommage de s’en priver.

Un risque à ne pas négliger est l’apparition des intelligences artificielles qui commencent à réaliser des entretiens de présélection. Selon moi, celle-ci ne se fera pas sans biais. S’engager auprès d’une personne, n’a pas la même valeur que de s’engager auprès d’un ordinateur ou d’une intelligence artificielle. La relation humaine est essentielle au recrutement, mais aussi pour le processus d’onboarding qui s’ensuit.

… et inversement ?

Certains professionnels affirment être capables d’évaluer la même chose qu’un test lors d’un entretien d’embauche. D’une certaine manière, pour le test de personnalité, ils ont raison. Mais je les mets au défi de donner un score à la fin de l’entretien pour la trentaine de dimensions de personnalité que nous mesurons. Pour obtenir un résultat similaire, il leur faudrait trois heures d’entretien.

En parallèle, toute une série de compétences sont invisibles à l’œil nu : les capacités cognitives, les capacités de raisonnement, etc. Voir en entretien qu’une personne a une bonne mémoire, ou est capable de réaliser des contrôles sans erreurs est assez compliqué. Un test d’aptitude pourra aisément pallier ce manque d’information de manière objective.

Quels sont les risques à ne pas inclure de test dans le processus de recrutement ?

Prendre la décision d’embaucher quelqu’un sans lui avoir fait passer un test implique de se baser sur des informations incomplètes. De plus, ils aident les recruteurs à lutter contre certains biais de la pensée, tels que l’effet de halo. Lorsque nous repérons une caractéristique positive chez un candidat, cela a tendance à colorer favorablement toutes ses autres caractéristiques. Ici, le test vient nous rappeler, par exemple, qu’un individu peut être charismatique lors d’un entretien, mais avoir des lacunes ailleurs.

Pour certains métiers techniques, passer un test est indispensable. Par exemple, dans le cas des sociétés de chemin de fer, l’Europe impose de tester les capacités de vigilance des conducteurs. Un candidat qui serait atteint d’un trouble de l’attention serait inadapté au poste, même s’il disposait de toutes les autres compétences requises.

D’une manière générale, le coût d’un test est la principale source d’hésitation pour les entreprises. Mais ce coût est minime par rapport au coût d’une erreur de casting. Selon une étude de ManPower, HR Voice et Opensourcing pour Collock, un recrutement raté coûte environ 51 850€ pour un poste de cadre et 32 500€ pour un poste de technicien.

Une grande révolution de 2023 est la démocratisation des IA génératives. Selon vous, comment vont-elles impacter le recrutement ?

À l’heure actuelle, je pense que cette technologie n’est pas assez mûre pour l’utiliser dans les tests en tant que tel. En tant que psychologue recruteur, je dois être garant que l’outil que j’utilise n’a pas de biais et ne discrimine pas, par exemple, en fonction de l’origine ou du sexe de la personne. Le problème est que l’IA générative est une boîte noire. Elle n’explique pas comment elle arrive au résultat.

Ce type d’outil est très dépendant des données avec lesquels on l’entraîne. Si les données sont biaisées, le résultat le sera aussi. C’est comme pour une recette de cuisine : si les ingrédients ne sont pas bons, le plat a de grandes chances d’être mauvais aussi. Croiser les données des candidats avec celles des salariés en poste peut sembler une bonne idée sur le papier. Mais en réalité, elles incorporent inévitablement les biais institutionnels et structurels inhérents à la société. Ces données se basant sur un échantillon préalablement biaisé, les outils de recrutement les utilisant reproduisent inéluctablement les biais humains et désavantagent systématiquement les candidats sous-représentés dans les données d’apprentissage. L’exemple le plus célèbre est celui de l’IA d’Amazon qui avait tendance à privilégier des CV d’hommes.

Il ne faut pas laisser l’intelligence artificielle prendre les décisions à la place d’un expert, tant qu’elle est incapable de citer ses méthodologies de manière précise, d’expliquer ses critères de choix et que ces éléments sont bien déontologiques. Le potentiel de cette technologie est énorme, mais il faut attendre que la technologie soit mûre avant qu’on puisse l’utiliser en toute confiance.

Crédit photo : Shutterstock / NicoElNino

  1. D’après l’étude de l’APEC Pratiques de recrutement des cadres 2023 ↩︎

Touche-à-tout en marketing digital, Sandrine a d’abord aiguisé sa plume dans des domaines aussi divers que la chimie réglementaire, la maintenance industrielle ou la réalité virtuelle. Écrire pour les ressources humaines lui offre l’opportunité de traiter une palette variée de sujets tout en s’engageant dans des thématiques qui touchent profondément à l’humain et à la vie en entreprise. Elle est également passionnée par les jeux de rôle papier et les jeux de plateau, sources inépuisables d’inspiration et de créativité.

Crédit photo : Le Mitrailleur photos

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