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La formation des salariés, grande oubliée des politiques publiques

Les réformes se suivent et la formation des salariés n’est plus aujourd’hui un sujet pour les politiques publiques. Apprentissage, formation des demandeurs d’emploi, reconversion professionnelle, autant de sujets importants et qui sont soutenus à raison, mais pourquoi aucune attention n’est-elle désormais plus portée à la formation des salariés en entreprises ?

On sait tous que la formation des salariés, et notamment pour les entreprises de 50 à 250 collaborateurs qui ont perdu la mutualisation en 2019, constitue l’angle mort de la réforme de 2019. Néanmoins, ce constat partagé est resté sans suite avec l’idée sous-jacente que la formation des salariés est uniquement l’affaire des entreprises.

Les conséquences du manque d’attention sur la formation des salariés en entreprise

La réalité est toutefois un peu plus complexe. Après 40 ans de budget « sanctuarisé », force est de constater que la bascule culturelle attendue ne s’est pas faite pleinement et que les budgets formation des entreprises ont, de manière générale, largement baissé. Là où la formation était contracyclique car indépendante des aléas conjoncturels, elle est devenue cyclique étant une ligne possible à couper en cas de tensions budgétaires pour l’entreprise.

La crise sanitaire est venue en amplificateur des effets de la suppression de la mutualisation des PME et a créé un trou d’air dans la formation des salariés. Certes, le FNE Formation a été mis en place au plus fort de la tempête sanitaire afin que le chômage partiel serve de temps de formation. Certes, il a perduré pour accompagner les entreprises en pleine transformation, suite à la pandémie ou non, mais quatre dispositifs en trois ans ne permettent pas de stabiliser un dispositif trop changeant et dont la reconduction annuelle est toujours source d’interrogation.

A date en 2023, si 300 millions d’euros sont théoriquement disponibles pour soutenir les entreprises dans leur effort de formation au titre du FNE Formation, les fonds commencent à peine à se débloquer à mi-année au niveau des OPCO . Ces aides sporadiques ne permettront pas aux entreprises de s’inscrire dans la durée. C’est au mieux un coup de pouce, au pire un dispositif faiblement utilisé car trop volatile. Peut-être faut-il arrêter de mettre en place des dispositifs avec l’espoir qu’ils soient faiblement mobilisés ou même prévoir les garde fous pour en limiter considérablement l’effet ? 

Et il ne faut pas se bercer d’illusions sur des comparaisons hasardeuses entre l’ancien plan de formation, dont le formalisme important ne permettait de réaliser que certains types d’actions de formation, et les modalités du nouveau plan de développement de compétences qui permet de comptabiliser beaucoup plus de types d’actions (et c’est tant mieux pour valoriser la diversité des formats) ; ce qui conduit à largement sous-estimer la baisse réelle des investissements formation des entreprises. 

Il ne s’agit pas pourtant d’exhumer le système de la mutualisation, encore en vigueur pour les entreprises de moins de 50 salariés, mais de réfléchir à la logique d’écosystème dans lequel la formation professionnelle s’inscrit. Il faut d’abord noter que les entreprises continuent peu ou prou à financer presqu’au même niveau qu’avant un système dont elles ne récupèrent désormais plus qu’indirectement les fruits via l’apprentissage ou les candidats venant de Pôle Emploi. 

Quant au financement du CPF, on voit bien que sa forte décrue voulue par France Compétences et les incertitudes sur son financement ne sont pas compensées par la mise en place facilitée de dispositifs d’abondement qui pourraient servir les intérêts des salariés et de leurs employeurs. Et ce, même si les dispositifs certifiants ne sont pas forcément ceux les plus adaptés pour les salariés en poste, entraînant des lourdeurs et des coûts peu justifiés au regard des besoins réels des apprenants comme de leurs employeurs. 

Révolutionner la formation professionnelle : un écosystème ouvert et cohérent pour favoriser l’employabilité

Donc, en résumé, à coût plus ou moins identique, les entreprises n’ont pas commencé à former un seul salarié dans le cadre de leur plan de développement de compétences. Ces nouvelles modalités auraient entraîné une baisse de 20 à 30% des investissements formation des entreprises, sachant que l’inquiétude porte particulièrement sur celles employant de 50 à 250 salariés qui contribuent bien plus au financement du système, via leur contribution formation, qu’elles ne récupèrent, même indirectement via le CPF, l’apprentissage ou la formation des demandeurs d’emploi.

Ainsi contrairement au discours ambiant, la formation des salariés n’est pas que l’affaire des entreprises. Notre écosystème est ouvert et le penser comme étant siloté est clairement faire une erreur d’appréciation. Former les salariés, c’est être capable de les fidéliser, c’est aussi pouvoir les recruter dans un contexte de tension importante sur le marché de l’emploi et de turn over accéléré. La conjoncture actuelle et les difficultés des entreprises à recruter et à fidéliser leurs salariés rend cet équilibre encore plus fragile et la conception d’un système cloisonné encore plus discutable.

Plusieurs dispositifs sont à l’étude, notamment des incitations fiscales et les comparaisons européennes amènent à s’interroger sur la manière de combler cette faiblesse de la loi de 2019 qui a ouvert la brèche à une baisse importante des budgets consacrés par les entreprises à la formation de leurs salariés. Néanmoins, il est clair qu’il y a une faille dans les discours qui promeuvent le développement des compétences comme un sujet sociétal majeur mais qui ignorent ce qui constitue le principal enjeu compétences, à savoir la formation des 21 millions de salariés en emploi dans les entreprises et qui ne sont ni en transition professionnelle ni en conversion mais juste en poste et dont le développement de leurs compétences est la clé de la compétitivité de leurs employeurs. 

Ce n’est pas bien entendu minimiser l’impact et la pertinence des dispositifs de transition ou de reconversion professionnelle mais bien revaloriser celle des dispositifs de formation des salariés en poste. Ne pas cloisonner les dispositifs, ne pas opposer les salariés et leurs employeurs, devrait permettre de penser un écosystème ouvert et cohérent qui pose les bases de la société de compétences que tout le monde appelle de ses vœux.

Crédit photo : Shutterstock / Ground Picture

Directrice générale de Comundi depuis 2014, Claire Pascal a fait toute sa carrière professionnelle dans le secteur de la formation professionnelle. Mobilisée sur la valorisation des métiers de la compétence, Claire Pascal est aussi administratrice des « acteurs de la Compétence » depuis 2017, où elle s’investit spécifiquement sur les sujets de la formation des salariés et sur les dimensions économiques et business développement de la filière. Elle est également Maire Adjoint en charge des Ressources Humaines de la Ville d’Antony.

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