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« L’expérience collaborateur est la clé pour gagner la guerre des talents »

Selon le 5e baromètre national de l’expérience collaborateur réalisé par Parlons RH (en partenariat avec LumApps, Arago Consulting, Groupe Up, Wittyfit, Workday, Groupe Crédit Agricole, SD Worx, Uber for Business et Le Lab RH), l’EX se démocratise, bien que nombre de DRH restent réticents à s’en emparer. Mais selon Etienne Audoin, spécialiste innovation RH et expérience collaborateur chez Arago Consulting, les lignes bougent, et de plus en plus d’entreprises se saisissent de ce sujet capital pour recruter et fidéliser les talents.

Quelle information vous interpelle le plus dans cette étude sur l’expérience collaborateur ?

On constate dans ce baromètre que l’expérience collaborateur (EX) se démocratise, mais que dans le même temps, un tiers des professionnels RH ne la considèrent pas comme une priorité. Tandis que 60 à 70 % des entreprises ne disposent pas d’outils numériques pour recueillir systématiquement le ressenti des salariés.

Ces chiffres sont saisissants. Ils contrastent avec le fait qu’aujourd’hui, face à la nouvelle norme du travail hybride, les entreprises sont quasiment obligées de repenser leur modèle humain, en valorisant l’expérience collaborateur. Au contact des organisations, on s’aperçoit que les collaborateurs expriment principalement deux besoins : être écoutés, et être accompagnés dans leur développement. Nombre d’entre eux sont tentés de quitter leur employeur quand ces attentes ne leur semblent pas prises en compte.

L’enjeu pour les DRH est donc de répondre à ces aspirations, afin de fidéliser ceux qui sont déjà en poste, et d’attirer de nouveaux talents. Ce développement de l’EX passe par une digitalisation accrue des process. D’abord, ceux liés à la formation, dans l’optique de tendre vers une organisation apprenante. Ensuite, ceux qui permettent de capter les retours d’expérience des salariés.

Comment percevez-vous, au contact des entreprises françaises, le développement de l’expérience collaborateur en leur seing ?

Le baromètre en fait état, et nous le constatons aussi : les entreprises qui ont enclenché une démarche autour de l’expérience collaborateur pendant la crise sanitaire (notamment en sondant l’engagement des salariés et leurs ressentis) ont conservé leurs bonnes pratiques.

Certaines organisations ont par exemple mis en place des outils de mesure continue, afin de mieux comprendre ce qui fonctionne ou pas dans le télétravail, et de mettre en place des plans d’action plus adaptés. Elles ont questionné les collaborateurs sur leur expérience du travail distanciel, à travers ses aspects matériels / techniques, mais aussi à travers ceux liés au stress et à l’équilibre des temps de vie. Elles ont ainsi appris à mesurer différemment l’engagement, les besoins et le bien-être des collaborateurs, à travers des modes d’enquête beaucoup plus fréquents et plus courts. Tout en mettant en place des formations beaucoup plus rapidement ; notamment pour développer un management plus collaboratif.

Force est de constater que depuis 4 ou 5 ans, les entreprises qui mesurent l’engagement et l’expérience collaborateur ne sont plus seulement celles de grande taille. On constate notamment que des ETI et des PME prennent aujourd’hui ce sujet en main, car l’enjeu est pour elles de surmonter une importante pénurie de compétences. Face à la guerre des talents, elles n’ont d’autre choix que de se pencher davantage sur les besoins de leurs salariés et sur ce qui fera qu’ils seront contents de rester.

Au-delà du salaire, il s’agit notamment de l’équilibre vie professionnelle – vie personnelle, du télétravail et de la QVT. En matière de bien-être, nous en voyons notamment de plus en plus qui mettent en place des programmes d’activité physique, ou encore des cours de yoya et de méditation en ligne. Les RH portent désormais ces sujets à bras le corps.

Si un tiers des DRH ne considèrent pas l’EX comme une priorité, ne serait-ce pas parce qu’ils confondent justement ce concept avec la seule QVT ?

L’expérience collaborateur est en effet beaucoup plus large que la QVT. Le baromètre en donne une définition claire : « une démarche structurée de marketing RH, qui consiste à segmenter ses publics internes et externes, à identifier et prioriser les attentes, à imaginer des réponses sous la forme d’offres de services RH, à déployer celles-ci, à en évaluer la réussite, puis à recommencer ».

Certains DRH se méprennent probablement sur le sens de l’EX à cause d’un biais culturel tenace. En France, l’engagement a longtemps été confondu avec la satisfaction. Or, un salarié « content » ne sera pas forcément engagé dans le projet de l’entreprise. La QVT est l’un des critères qui pèse sur l’engagement, mais il en existe bien d’autres : la RSE et la raison d’être de l’entreprise, la qualité du management, l’intégration et l’esprit d’équipe, l’inclusion et la diversité, la formation et la mobilité interne… Il ne suffit pas de mettre en place des actions liées au bien-être pour améliorer l’expérience collaborateur. Celle-ci se développe sur un temps plus long que le « bonheur au travail ». Elle nécessite notamment des actions novatrices de formation, de coaching, de mentoring et d’échanges de savoirs. Ainsi qu’une gestion des compétences et de la marque employeur plus agile.

Mais si les professionnels RH ne perçoivent pas l’EX comme une priorité, c’est aussi parce traditionnellement, la DRH a longtemps été cantonnée à tout un ensemble d’obligations légales : gérer la paie et les plans sociaux, ainsi que les carrières des salariés. L’expérience collaborateur dépasse les attributs classiques des décideurs RH. On constate que dans certaines entreprises, des départements spécifiquement rattachés à l’EX, à la RSE et à l’engagement sont créés et rattachés à la RH. Mais pour que ces organisations ne demeurent pas minoritaires, il faut que les directions générales se saisissent de ce sujet.

Mais il faut rester optimistes. Le temps passant, nombre de dirigeants et de DRH devraient finir par se rendre compte de l’importance de prendre l’expérience collaborateur en main. Car l’impact sur le business d’une EX sous-développée est très important. Elle se manifeste par une perte d’engagement et de productivité chez les salariés, par des démissions croissantes, ainsi que par des difficultés de recrutement problématiques.

Le défi pour les DRH sera demain, plus que jamais, d’attirer les talents et de les fidéliser. Ils devront pour cela leur proposer des modes de travail hybride pérennes, et leur démontrer (dans les faits) l’existence d’un réel équilibre des temps de vie et des possibilités d’évolution de carrière. Dans cette optique, l’expérience collaborateur est clé. Si une entreprise ne remodèle pas ses pratiques RH en fonction de l’EX, et si elle ne tend pas vers une démarche de marketing RH axée sur le service adressé au collaborateur, elle risque tout simplement de perdre la guerre des talents.



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Crédit photo : Shutterstock / GaudiLab

Avant de rejoindre Parlons RH en tant que Chef de projet média, Fabien était journaliste et community manager pour Courrier Cadres. Il a également écrit, en tant que freelance, pour plusieurs sites et magazines économiques et high-tech. Au fil de ses expériences, Fabien a développé une solide expertise éditoriale en matière de management et de RH. Il est diplômé de l’École de journalisme de Toulouse, titulaire d’une Licence d’Histoire et d’un Master 1 de chargé de communication obtenu à l’EFAP.

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