C’est une évidence, l’intelligence artificielle est partout… Du moins, partout dans la presse et au sein des articles sur les blogs de start-ups plus ou moins innovantes. Phagocytant les échanges sur les réseaux sociaux, le thème de l’intelligence artificielle efface même en grande partie le « buzzword » de l’an passé qu’était le Big Data, en attendant le prochain. Quels sont, concrètement, les vrais enjeux de l’intelligence artificielle ? Quels bénéfices réels les RH pourraient-elles en retirer ?
Même si l’on peut considérer que parler d’intelligence artificielle est plus qu’abusif et qu’il peut être, sous certaines conditions, intéressant de regarder notre monde via une approche se fondant sur les mathématiques du calcul, de l’information et de la complexité et non plus sur la biologie, la physique, la psychologie, la nature humaine, faut-il pour autant sacrifier à la doxa actuelle sur l’innovation ?
L’innovation n’est pas nécessairement progrès. Comme l’a relevé Pierre Desproges : « l’homme de science le sait bien, lui, que seule la science, a pu, au fil des siècles, lui apporter l’horloge pointeuse et le parcmètre automatique sans lesquels il n’est pas de bonheur terrestre possible» !
Sommaire
Que penser de certaines innovations qui nous sont présentées comme venant révolutionner le monde des RH ?
Seul un petit nombre d’entre elles apportent de nouvelles approches ou une réelle valeur ajoutée. L’immense majorité des applications et start-ups que l’on voit fleurir ne font, en fait, qu’industrialiser des processus déjà existants. Par ailleurs, elles oublient malheureusement que l’on ne peut appréhender la fonction RH par petits bouts en découpant des périmètres restreints et étanches, tant sur le plan organisationnel que temporel, car chaque mission et/ou action de la fonction RH évolue et interagit dans une logique de système à équilibre instable. Système dont le professionnel RH, tel l’horloger du temps jadis, ajuste en permanence les rouages et optimise les mécanismes.
Dans ce contexte, comment ne pas réagir face à la multiplication d’annonces et d’articles relevant plus de la logique de publireportage, habilement concoctés par des spécialistes de la communication et du storytelling à grand renfort d’emphase, de « disruptions », d’approximation et de marketing « bisounours », que de l’information éclairée, source d’idées, pour une heuristique au service du progrès.
Dans un précédent article, déjà ancien (La fonction RH est-elle moutonnière), l’auteur avait caricaturé deux tribus qui agitent le petit monde du management, les « PsyKos » contre les « TeKos ». En observant la première tribu, les « PsyKos », on peut certes considérer que derrière l’instrumentalisation du « Bonheur », du développement de la responsabilisation et de l’autonomie au travail et du discours « new-age » qui l’accompagne généralement, se trouvent des facteurs et situations relevant de ce que certains appellent la maltraitance organisationnelle. Il nous incombe de combattre ces dérives, car elles placent l’entreprise et son dirigeant dans une logique de manipulation de l’identité professionnelle des collaborateurs que Tchakhotine n’aurait pas reniée.
Devons-nous, pour autant, tomber dans l’excès inverse et ériger un nouveau Moloch, fût-il technologique ?
Même si la fonction RH est chahutée, controversée, remise en cause, nous aimerions être en capacité de proposer une théorie générale de sa persistance (la persistance étant l’étude du fait que certaines entités ne disparaissent pas : compréhension des diverses façons dont ces entités procèdent pour résister à ce qui s’oppose à elles, classification dans une taxonomie des différents types d’acteurs, d’informations, de processus, d’objectifs robustes et de leurs liens de dépendance, etc.). Certains se sont attelés à cette tâche, comme Référence RH, qui propose avec son observatoire des métiers ou son projet d’identification des blocs de compétence RH des avancées significatives. Nous devons aller plus loin et accélérer.
Clarifier cette théorie des « persistances » RH est absolument nécessaire, car cette absence de clarification explique en grande partie le phénomène du « HR-Bashing ». L’ouvrage coordonné par Michel Barabel (Pour une fonction RH inspirante, une réponse au RH bashing, à paraître en octobre chez Entreprises & Carrières) met particulièrement ce fait en évidence. De plus, ce manque de clarification des grands invariants de la fonction la conduit à tenter de se recomposer – voire de se réinventer – en aveugle, se heurtant alors de plein fouet aux murs de nos habitudes et corporatismes.
C’est une heuristique qui est en train de se développer sous nos yeux par un ensemble de cycles essais/erreurs. Nous le constatons tous, une question se pose dans ce contexte : sommes-nous spectateurs ou acteurs de cette clarification ? Saurons-nous impulser, réaliser ou plus modestement participer à la réalisation d’un véritable corpus de connaissances RH avec ses axiomes, ses théorèmes, son système de classification qui nous permettra de travailler à la « théorie de la persistance RH » ?
Il nous semble que les travaux sur cette théorie devraient avoir pour ambition de décrire et de comprendre la diversité de modes de persistance sans s’arrêter à ceux de ses acteurs (on lira les derniers billets de Vincent Berthelot et d’André Perret sur le sujet). La fonction RH continuera d’exister, mais pas nécessairement avec les mêmes acteurs. Ce constat nous ramène à une question ayant agité (et agitant toujours) nombre d’associations professionnelles RH : les RH sont-elles une mission ou une fonction ?
Nous nous devons donc de réinterroger les réseaux d’interaction et de coordination qui lient les entités (activités) RH, persistantes les unes aux autres, et l’algorithmique implicite qui s’y déroule rattachant l’ensemble des phénomènes à une forme de calcul généralisé et cumulatif. L’une des questions de fond devenant alors de savoir si ce système suit ou non des règles assimilables à celle d’un système formel, de comprendre la façon dont les particules élémentaires ont pu s’assembler pour former un « être » (la fonction RH) capable de se penser lui-même (« je pense donc je suis ») et de s’extraire de la logique des systèmes formels (on en revient à ce qui différencie l’homme de la machine douée d’une intelligence artificielle). Si ces sujets vous intéressent, précipitez vous sur l’ouvrage de Douglas Hofstadter : Gödel, Escher, Bach : an Eternel Golden Braid et relisez Descartes.
Plus simplement, seule une complexité organisée donnera une unité à toutes les évolutions matérielles, sociales, culturelles et autres dont les RH sont le lieu. La seule manière de domestiquer le Léviathan …
En tant que professionnels RH, nous sommes en permanence confrontés au monstre primitif du chaos originel, toujours présent dans l’entreprise qui cherche à se (re)structurer. Cette situation se présente notamment lorsque l’on cherche à passer d’un fonctionnement en mode « start-up » à celui d’une entreprise un peu plus structurée.
La complexité de ces enjeux, forte comparativement à d’autres fonctions de l’entreprise, est principalement due aux contours flous de la fonction, au partage de ses missions et aux faiblesses inhérentes à un système d’information particulièrement complexe, perclus de faiblesses technologiques et ne reposant pas sur un corpus de règles stables et immuables. (pour mémoire, un SI peut être défini ici comme étant la réunion de manière coordonnée d’acteurs, de données, de procédures/processus dans le cadre d’objectifs communs par un ensemble de techniques et technologies).
Dans un contexte où l’on voit fleurir nombre de solutions portées par des professionnels qui ne sont pas issus de la sphère RH (ou du moins rarement), l’IA est la technologie du moment. Elle suscite craintes et espoirs. À lire certains articles (comme celui-ci), nous sommes prêts à lui sacrifier nos enfants. Faut-il tout accepter et sacrifier sur l’autel de l’innovation ? Si l’on se réfère à cet article, assez significatif de ce que l’on rencontre régulièrement sur le Net, quelques questions fondamentales sont purement et simplement éludées :
Si l’on voulait continuer nos parallèles antiques, on pourrait dire qu’il nous faut réécrire le Lévitique, condamner ces pratiques… Mais dans les faits, aujourd’hui, recherche-t-on vraiment à agir de manière responsable, morale et éthique ?
La place et le rôle d’une charte éthique de la fonction RH seront donc à réinterroger au regard des avancées scientifiques en matière d’intelligence artificielle. Par rapport à nos premiers travaux sur le sujet, nous devons intégrer un certain nombre de principes de précaution. L’un des points centraux découle de ce que nous utilisons des modèles statistiques. Ceci implique, à mon sens, la petite phrase suivante : « à données collectives, décisions collectives… » et évacue, pour le moment, l’utilisation prescriptive des statistiques pour le traitement de situations individuelles. Ceci doit nous pousser aujourd’hui à regarder avec le plus grand scepticisme et la plus grande prudence l’utilisation de ces technologies pour des prises de décision individuelles telles que le recrutement.
Notre premier chantier est ainsi de faire avancer la construction et le partage d’un véritable code de déontologie pour la fonction RH, avec ses modalités d’application. Nous sommes nombreux à défendre cette position qui, au regard des bouleversements de la fonction, est devenue primordiale. Sur ce point, nous ne pouvons que nous réjouir de ce que certaines organisations syndicales telles que la CFE-CGC et FO-Cadres ou des autorités administratives indépendantes comme la CNIL s’emparent des problématiques liées à l’éthique de l’utilisation des données et des algorithmes, au-delà de l’évolution du cadre réglementaire devant être mis en application en 2018.
La fin de la Première Guerre punique se traduisit par une diminution notable de l’influence de Carthage, qui n’était plus maîtresse des mers. La fonction RH occupe actuellement la place des Carthaginois. Conserverons-nous la maîtrise de notre environnement et de nos données, ou devrons-nous plier et nous effacer face aux abordages récurrents d’autres acteurs tels que les Start-Ups ? L’actuel projet de charte éthique devrait permettre d’endiguer nombre de risques.
Une lecture de la Seconde Guerre punique met en évidence l’importance des alliances et des réseaux, la solidité et la résilience de ceux-ci. Il nous appartient d’identifier et de définir au niveau interprofessionnel, des branches professionnelles, de nos entreprises, ce qui va constituer notre système persistant. Assistera-t-on à un éclatement de la fonction et à la recomposition des métiers, au développement d’une ambidextrie ou d’autres modèles ? Esquiver ce débat serait sans conteste cantonner à brève échéance les RH dans leurs murs, dans une étouffante logique bureaucratico-administrative.
Ceci posé, nous pourrons alors nous poser la question du fonctionnement RH de l’organisation, articulant technologies, anciens et nouveaux acteurs, et celle de la gestion des grands équilibres entre l’économique et le social, l’organisation et l’individu, etc.
→ Disposer d’une vision générale et transversale de l’utilisation des technologies
Même s’il nous faut être critiques à l’encontre des solutions proposées par les start-ups, il ne faut surtout pas rejeter les quelques opportunités qu’elles proposent, car elles doivent nous permettre de repenser la fonction et les missions RH. Il nous faut au contraire mieux comprendre les technologies pour les combiner dans une logique cohérente et coordonnée.
→ Au commencement était la Data
Au commencement était la Donnée, et la Donnée était avec le Chaos, et la Donnée était le Chaos.
Elle était au commencement avec le Chaos.
Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.
En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes.
D’après le prologue de l’évangile selon Jean
Déjà cité, l’article « La fonction RH est-elle moutonnière ? » avait présenté le modèle de la DRH 4.0. Ce dernier peut être aujourd’hui résumé sous la forme suivante :
Avec le recul et au regard de ce qui a été avancé précédemment, il apparaît nécessaire de le compléter avec celui ci-dessous. L’objectif de cette modélisation est de mettre en avant l’articulation des différentes technologies, d’éviter ainsi l’effet gadget, tel qu’illustré ici, et de bien articuler les principales technologies qui peuvent être mobilisées au sein des missions RH. Lorsqu’on travaille à la recension de ces dernières, on retrouve les points suivants qui sont devenus au fil du temps pour certains d’entre eux des buzzwords dont la réalité concrète au sein des entreprises et des organisations est loin d’être avérée :
Dans un premier temps, nous allons pouvoir travailler relativement simplement sur des données dites « structurées ».
Mais les informations et les savoirs présents au sein de nos structures ne sont pas tous organisés et traités : ils dorment souvent au sein de rapports, de notes de synthèse, de dossiers d’évaluation, voire parfois de mails ou de SMS…
Au-delà des raisons ayant poussé Rome à raser Carthage suite à la troisième guerre punique (et, selon la légende, à répandre du sel afin de rendre les terres stériles), nombre d’hypothèses sont soulevées pour expliquer l’ultime défaite des Carthaginois, notamment une certaine forme de « bunkerisation »…
Il nous faut sortir de notre confort illusoire et précaire d’une conception classique de la fonction RH. Réinventer, réenchanter, repenser la fonction RH est une impérieuse nécessité. Si l’on désire faire un ultime parallèle avec l’histoire des guerres puniques, maîtriser notre environnement, renforcer nos alliances et travailler en réseau est devenu impératif.
De nombreuses solutions logicielles apparaissent actuellement. Avec de belles promesses de performance accrue, de rentabilité et de retour sur investissement. De manière « off », les retours d’expérience des utilisateurs sont particulièrement mitigés. Lors d’échanges et d’interviews, sans chercher à remettre en question la qualité des solutions proposées par les éditeurs, nous avons pu identifier 10 points présents de manière récurrente derrière les échecs (qu’ils soient complets ou partiels) :
C’est en évitant ces écueils que nous gagnerons les guerres puniques et éviterons de finir comme Sardanapale.
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