Ce que disent les « silences organisationnels » de votre entreprise

Les « silences organisationnels » éclairent d’un jour nouveau le fonctionnement quotidien des entreprises. Les silences, ressources ou obstacles, illustrent les maux et les réussites. D’où l’importance de les laisser s’exprimer.

 

Vers un huitième facteur de performance

Le modèle des « 7 S » de McKinsey sert, depuis les années 1980, de boussole à des générations de managers et de consultants. Il s’agit de facteurs de performance.

  • Strategy
  • Structure
  • Staff
  • System
  • Style
  • Skills
  • Shared Values

Ils visent à améliorer l’organisation globale des entreprises. Pourtant, dans notre époque hypercommunicante et saturée de signes, un huitième S devrait être pris en compte : le silence.

Depuis la publication pionnière en 2000 d’E.W. Morrison et F.J. Milliken, deux professeures new-yorkaises, la recherche en management, en théorie des organisations et en psychologie du travail a exploré les non-dits dans les entreprises via ce que l’on appelle les « silences organisationnels ». Ceux-ci concernent les situations banales dans lesquelles un employé fait le choix de ne pas exprimer des idées, informations ou encore émotions et sentiments sur des questions pertinentes pour l’organisation, et ce auprès d’autres personnes qui pourraient modifier la situation.

Ces silences portent sur des contenus d’ordre :

  • aussi bien cognitif : informations, chiffres, raisonnement…
  • qu’affectif : peur, déception, envie…

Ils concernent tous les niveaux de la hiérarchie et sont présents, à des degrés divers, dans toutes les entreprises. Selon les chercheuses citées, 85% des personnes déclarent s’être senties au moins une fois incapables de parler à leurs supérieurs d’un problème important.

 

Les types de silences organisationnels

La peur et/ou la résignation se présentent comme les deux motifs les plus fréquents :

  • la peur de susciter conflits, réprobations voire des sanctions ;
  • la résignation ancrée dans la certitude que parler ne changera rien à la situation.

Il faut pourtant dépasser ces deux premiers types de silences, autoprotecteurs, et résignés, pour s’intéresser à d’autres catégories, qui éclairent d’un jour nouveau la vie des entreprises :

  • les silences prosociaux, qui consistent à protéger un ou des collègues, par exemple suite à une erreur de leur part ;
  • les silences opportunistes qui permettent d’obtenir un avantage par rapport à un rival interne ou un concurrent externe ;
  • les silences déviants qui sont destinés à nuire volontairement à un tiers ;
  • les silences indécis qui hésitent entre parler ou ne pas parler.

L’histoire des organisations tout autant que l’actualité brûlante regorge d’exemples de ces différents types de silences organisationnels. Citons pêle-mêle : l’explosion de la navette Challenger, le nuage de Tchernobyl, le scandale du sang contaminé, le silence initial de la Chine au début de la pandémie de Covid-19, la fiabilité réelle des vaccins brandis par différentes entreprises… Chaque jour qui passe illustre concrètement les incidences de ces silences.

 

Ces 5 variables dont dépend le recours au silence

Plusieurs variables influencent le choix du silence :

  • le message lui-même ;
  • la personne : biographie, régulation des émotions, rapport aux figures d’autorité, identification à la profession et à l’entreprise, valeurs et engagement au travail ;
  • l’organisation : culture et climat organisationnels, attitude, disponibilité et réceptivité des cadres, participation aux décisions et degré d’autonomie ;
  • le contexte global hors des murs de l’organisation, qui joue également un rôle – marché du travail, protection légale des salariés ;
  • les traits culturels nationaux : expansivité, individualisme, rapport à l’incertitude…

Les répercussions de ces silences sont multiples, aussi bien en termes de productivité que de risques psychosociaux. Pour l’entreprise, on parle de risques industriels, de fautes, de turnover accrus, voire de crise interne et de baisse de l’innovation. Pour les employés, on pense à la baisse de motivation, de performance et/ou de satisfaction, mais aussi au manque d’estime de soi, qui peut générer stress, dépression, repli, voire sabotage. En dehors même de l’organisation, les accidents et catastrophes générant crises économiques ou écologiques sont autant de dommages collatéraux.

Pourtant, ces silences représentent une ressource ! Du calme feutré de certains bureaux propices à la concentration au secret professionnel nécessaire à certains métiers, en passant par le filtrage des émotions et des informations afin de rendre les relations interpersonnelles viables, les silences sont aussi indispensables aux employés qu’aux entreprises dans leur ensemble.

 

Au final, les silences, pour peu qu’on les écoute, constituent le thermomètre de la « santé » d’une entreprise. Ils sont un langage de signes qu’il faut constamment interpréter. Non pris en considération, ils sont condamnés à rester un poids, une faille et un symptôme, particulièrement dans la situation actuelle, où les différents confinements ont réinstallé de la distanciation entre les salariés. Pris en compte dans les messages dont ils sont porteurs, ils peuvent devenir une ressource – si ce n’est la huitième merveille du monde de l’entreprise, du moins le huitième S d’un modèle à transformer.

Professeur de management à Paris School of Business
Patrice Cailleba est diplômé de l’ESCP, docteur en philosophie et titulaire d’une HDR en sciences de gestion. Il est professeur de management à la Paris School of Business (PSB) et auteur d’un article de recherche sur les silences organisationnels publié dans la revue RIPCO (2017).

Jean-Baptiste Mauvais est normalien, agrégé d’allemand et responsable du secteur Formation à la Fédération suisse des Psychologues. Il est l’auteur d’un mémoire de recherche sur les silences organisationnels (2020) à l’Institut de Hautes Études en Administration Publique (IDHEAP) de Lausanne (Suisse).

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