Quel dialogue social dans les TPE ?

Dans les grandes entreprises, le dialogue social, au sens institutionnel, va de soi. Des institutions représentatives du personnel actives, soutenues par des syndicats présents, rencontrent des DRH aguerris et bien entourés. On partage des notions et un lexique communs. Le droit du travail est pour ainsi dire taillé pour les grandes organisations. Mais que se passe-t-il dans les très petites entreprises, en-dessous du seuil fatidique des 11 salariés ? Une publication de la Dares nous donne des éléments sur la question.
Qu’il s’agisse de lois ou d’accords entre les partenaires sociaux, de nombreux dispositifs sont imaginés à l’échelle nationale pour réguler la relation de travail, et pour permettre aux acteurs de l’entreprise elle-même de se fixer des règles en la matière adaptées à leur situation propre. Mais dans tous ces textes, le mot « entreprise » mêle indistinctement le groupe Carrefour à votre garagiste. Gérer les risques, les parcours, les conditions de travail, négocier les rémunérations… Tous ces processus ont lieu dans l’un comme dans l’autre. Mais, on s’en doute, pas dans les mêmes conditions.
Bien sûr, il existe des seuils : à 10, à 20, à 50, à 300 salariés…Toutes les entreprises n’ont pas exactement les mêmes obligations ni les mêmes outils à disposition pour conduire le dialogue social. Mais juridiquement et statistiquement, une entreprise est une entreprise, qu’elle ait 2 salariés ou 100 000 (comme BNP Paribas en France par exemple). Pour se faire une idée des ordres de grandeur, imaginons qu’il existe sur Terre des êtres de 1 centimètre de haut et d’autres qui culminent à 500 mètres, et qu’on les considère indistinctement comme appartenant à la même population d’individus…
Voyons donc comment s’en sortent les fourmis du point de vue du dialogue social.
Sommaire
Combien y a-t-il de TPE en France ?
Faisons d’abord un petit point sur les données : celles de la Dares définissent les « très petites entreprises » comme celles qui emploient entre 1 et 9 salariés. Deux remarques à ce sujet, une positive et une négative :
- Il n’est pas rare que les chiffres relatifs aux TPE incluent la masse des entrepreneurs individuels, qui n’ont aucun salarié. Les données Insee distinguent entre PME (moins de 250 salariés) et microentreprises, sachant que celles-ci peuvent avoir des salariés (dont le dirigeant lui-même) ou non. On amalgame ainsi des réalités extrêmement différentes : du point de vue des réalités vécues, il y a à peu près le même fossé entre 0 et 1 salarié pour une entreprise qu’entre 0 et 1 enfant pour un couple… Les données de la Dares ne souffrent pas de ce travers : elles distinguent bien entreprises avec et sans salariés.
- En revanche, la segmentation desdites données s’arrête à 9 salariés. Or, l’obligation d’organiser l’élection de représentants du personnel s’impose à partir de 11 salariés. L’étude de la Dares n’inclut donc pas l’intégralité des entreprises qui n’ont pas d’obligations en matière d’IRP : les entreprises de 10 salariés ne sont pas prises en compte. On peut difficilement leur en vouloir : le seuil pour l’assujettissement à certaines cotisations et taxes était précédemment fixé à 10 salariés, et l’alignement sur le seuil de 11 salariés ne date que du 1er janvier 2016. Et le statisticien étant friand de continuité des séries, il est difficile de modifier les catégories d’une année sur l’autre.
Résultat des courses : les TPE, dans cette définition (1 à 9 salariés), représentent un million d’entreprises employant 3 millions de personnes, soit un salarié sur 5 du secteur concurrentiel hors agriculture (pour 85% du nombre d’entreprises employant au moins un salarié). En moyenne, les TPE emploient donc 3 personnes, et 37% d’entre elles n’ont qu’un seul collaborateur. Seules 14% ont plus de 5 salariés. On notera également que l’emploi y est plus souvent en CDD et à temps partiel que dans les entreprises de 10 salariés et plus – ce qui en soi devrait représenter un enjeu supplémentaire de dialogue social. Qu’en est-il donc sur le terrain ?
Un quart des TPE dialoguent vraiment
Selon l’étude de la Dares, près des trois quarts des TPE (voire 4 sur 5 si on exclut celles qui n’ont qu’un salarié) ont « pris des dispositions » sur au moins un de ces quatre sujets : salaires, gestion de l’emploi, conditions de travail, temps de travail. Mais les salariés ne sont pas systématiquement associés à ces décisions : ce n’est le cas que dans 31% des entreprises de 2 à 9 salariés où des décisions ont été prises sur l’un des quatre thèmes. Au total, on peut donc estimer qu’un dialogue social consistant existe dans un quart des TPE de 2 à 9 salariés (31% de 80%)… Un petit dessin pour vous aider à suivre :
Le salaire (hors primes) reste un domaine largement contrôlé par l’employeur : 92% de ceux qui ont pris des décisions en la matière l’ont fait seuls ou dans le cadre d’échanges individuels. La part des entreprises où des décisions salariales se prennent en concertation décroît avec la taille : c’est le cas dans 9% des 2-4 salariés, mais seulement 5% des 8-9 salariés. On peut imaginer que la notion de concertation est sensiblement plus « naturelle » lorsqu’on travaille quotidiennement avec seulement deux ou trois personnes.
Conditions et temps de travail en tête des sujets abordés
Si on n’aborde pas trop le salaire, de quoi parle-t-on d’abord dans les TPE quand on dialogue socialement ? Selon l’étude, les thèmes qui se prêtent le plus à une concertation collective sont le temps de travail (dans 22% des entreprises ayant pris au moins une décision sur ce thème) et surtout les conditions de travail (31%). Pour ce dernier thème, la concertation est plus fréquente dans les plus grandes parmi les TPE : 34% des entreprises de 5 à 9 salariés y ont eu recours. L’étude ne permet pas d’entrer dans les détails des décisions prises, mais il s’agit dans tous les cas de questions pratiques, concrètes, concernant le quotidien de l’organisation. On peut également supposer que les avantages en matière de conditions de travail représentent un bon moyen de fidéliser les collaborateurs dans des entreprises où les salaires sont en moyenne plus réduits. Rappelons que le salaire brut moyen varie presque du simple au double entre les entreprises de 1 à 4 salariés et les plus grandes (plus de 5000 salariés).
Comment ?
Il apparaît donc que des pratiques de dialogue social existent bel et bien dans les TPE, même si elles ne concernent qu’une minorité d’entre elles (un quart, donc).
Mais comment cette concertation se traduit-elle ? Les TPE ne sont pas obligées d’organiser l’élection de représentants du personnel. La concertation se fait donc, la plupart du temps, avec l’ensemble des salariés. Il arrive cependant qu’un collaborateur se charge d’être le porte-parole de ses collègues : c’est arrivé notamment dans 5% des entreprises sur la thématique « conditions de travail ». L’étude ne dit pas quelle part de ces représentants ont été formellement élus. On peut supposer que cette part est relativement faible : le formalisme requis n’est pas simple à mettre en place, et requiert l’accord de l’employeur. Celui-ci n’y verra pas forcément une valeur ajoutée, même s’il a personnellement une culture de dialogue social.
Là où il y a dialogue, il y a conflit… et vice-versa
Quand on parle de dialogue social, on pense volontiers au règlement des désaccords entre employeurs et salariés. Qu’en est-il donc des conflits sociaux dans ces entreprises ? Et y a-t-il une corrélation entre conflit et dialogue ? Selon les dirigeants interrogés, il y a peu de conflits employeurs-salariés dans les TPE : 5% des entreprises de 2 à 9 salariés en ont vécu un en 2016. Les tensions entre salariés seraient encore moins fréquentes, et ne concerneraient que 3% de l’échantillon.
En revanche, les TPE qui ont connu des conflits sont nettement plus enclines à organiser la concertation avec les salariés (ou leurs représentants) que les autres. Les collaborateurs ne sont consultés, on l’a vu, que dans 8% des cas sur les questions de salaires ; mais on monte à 32% dans les entreprises qui ont connu des conflits employeur/salariés. Plus de la moitié des TPE conflictuelles où des mesures ont été prises sur les conditions de travail ont associé les salariés aux décisions.
Il y a au moins deux façons d’interpréter cette corrélation. On peut penser que les employeurs réagissent aux conflits en impliquant l’ensemble des salariés, alors qu’ils ne le faisaient pas avant. Mais on peut également imaginer que les conflits naissent des processus de concertation, mettant au jour des mécontentements qui restaient latents… Ces deux explications peuvent se vérifier simultanément dans différentes entreprises. Et les deux tendent à la même conclusion : associer les salariés aux décisions qui les concernent est plutôt un bon calcul dans une TPE, soit parce que la concertation permet de résoudre les conflits, soit parce qu’elle permet de les révéler, pour les résoudre ensuite !
L’affaire est donc entendue : le dialogue social profite à la petite entreprise – ce qui peut paraître, au demeurant, une évidence managériale. Concrètement, cependant, comment peut-on organiser le dialogue social dans une TPE ? Nous reviendrons sur la question dans un prochain article.