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 « L’inversion du marché transforme les entreprises »

le 11 décembre 2024
 « L’inversion du marché transforme les entreprises »
Éric Gras
Éric Gras

Diplômé de Sciences Po Aix En Provence en management des ressources humaines, Éric Gras a plus de 20 ans d’expérience dans le domaine des ressources humaines et est un spécialiste du marché de l’emploi.

Le renversement du marché du travail entraîne une cascade de transformations dans les entreprises, décuplées par la puissance de l’IA, nous explique Éric Gras d’Indeed, géant historique et high-tech du recrutement en ligne.

La crise de l’attractivité transforme-t-elle les pratiques des entreprises en matière de recrutement, de RH et de management ?

Oui, les pratiques se transforment, par la force des choses. Nous sommes passés d’un marché de sélection à un marché de séduction, par l’inversion du rapport de forces entre recruteurs et candidats. Notre plateforme de recrutement et de matching contient aujourd’hui 60 % d’offres d’emploi en plus par rapport à février 2020. Il y a une tension sur tous les métiers et tous les secteurs d’activité, ce qui est très nouveau. Cette inversion du marché transforme les organisations. Face à cette révolution, la marque employeur, hier encore souvent considérée comme annexe par les entreprises, est devenue centrale. Les candidats sont des consommateurs confrontés à un vaste choix de marques, avec des rapports qualité-prix différents. Le recruteur doit être plus attractif, plus réactif, et proposer un parcours candidat plus intuitif et séduisant. Or, la marque employeur n’est efficace que si elle est sincère et authentique. 90 % des candidats se renseignent sur l’entreprise avant de postuler. Une organisation qui se dit bienveillante, ouverte, écologique et dont les notes disent le contraire court à la catastrophe. Chez les candidats, la crise du Covid a révélé et accéléré l’émergence d’attentes préexistantes mais jusque-là peu exprimées. La quête de sens, la proximité géographique, la souplesse horaire, le télétravail… et toujours : la rémunération. Dans ces conditions, il devient plus que jamais capital d’afficher les avantages associés à l’emploi qui va être occupé, dès la rédaction de l’offre. De plus en plus, enfin, des candidats recherchent une entreprise apprenante et plaisante. À poste et salaire équivalents, ils vont privilégier l’organisation qui propose de les former pour rester performants, employables et efficaces, dans une ambiance agréable et respectueuse.

Les entreprises ont-elles majoritairement entamé le virage de l’expérience candidat ?

Il y a une réelle prise de conscience, en particulier au sein de la fonction RH. Mais toutes les parties prenantes des organisations n’y sont pas aussi sensibles, et les pratiques ne changent pas assez vite. Les managers opérationnels ont parfois du mal à réviser leurs exigences sur les fiches de poste. Les parcours de recrutement sont encore trop longs : 75 % des candidats que nous avons interrogés les jugent décourageants pour cette raison. Les offres manquent également de transparence : 66 % des candidats déplorent que la rémunération ne soit pas mentionnée. Les annonces énumèrent trop de compétences requises, laissant les candidats faire le tri. Ces derniers peinent à trouver les informations qui les intéressent… qui ne sont pas toujours celles que le recruteur a envie de divulguer… Si l’entreprise est en difficulté, cela se sait, ce n’est pas la peine de le cacher : on peut le dire en le reformulant de façon positive. Le but n’est plus d’avoir beaucoup de candidats, mais d’avoir des candidats qui matchent.

Quel est le fossé générationnel en matière d’attentes des candidats ?

Les différences entre générations ont toujours existé. Les gens n’ont pas les mêmes attentes à 25, 35, 45 ou 55 ans. La rémunération, le bien-être au travail, l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle restent des besoins exprimés par tous, mais avec des nuances selon l’âge et la situation familiale. Ce qu’il se passe, c’est que le marché est devenu plus favorable aux candidats. Ils expriment donc plus facilement leurs attentes qu’avant. Nous aussi, nous voulions concilier vie personnelle et vie professionnelle… Mais nous n’osions pas toujours le dire. Ce ne sont pas les jeunes qui ont changé : c’est l’inversion du rapport de forces sur le marché qui a agi comme un révélateur des attentes. Et désormais, prendre en compte, aussi, les préférences des candidats, devient clé.

Le métier de recruteur sera-t-il inévitablement un métier de la tech, demain ?

Il l’est déjà. Les recruteurs plébiscitent les outils IA pour les aider dans les tâches répétitives. La plupart des grandes entreprises utilisent de telles solutions. Nous estimons que 70 % des tâches du recruteur sont automatisables. Cela n’est pas sans danger : lorsque l’IA fonctionne avec des personas créés à partir des données de l’entreprise, elle se fonde sur les habitudes en place, et risque de reproduire, voire d’accentuer les biais existants. Il faut donc être un adepte des technologies pour faciliter et fluidifier son métier, mais aussi et surtout choisir les bons outils.

Comment aller plus loin ?

Il existe des pistes de développement très intéressantes. Nous avons mis en place, par exemple, un outil pour postuler sans CV, Indeed Hiring Events. Sur de nombreux métiers, les CV ne sont pas lus. Et le candidat souhaite, avant tout, avoir un échange avec le recruteur. Notre plateforme leur permet de prendre directement des rendez-vous d’entretien. Le recruteur bloque par exemple une matinée, et les candidats peuvent choisir des créneaux d’un quart d’heure. Cela permet d’avoir directement un entretien humain, sans passer par la case « CV ». Il s’agit de notre solution Indeed Hiring Events. Il est possible d’aller encore plus loin avec l’IA. Notre dernière innovation, Smart Sourcing, lancée aux États-Unis en 2023 et en France en 2024, permet aux employeurs de sourcer des profils qualifiés et en recherche active parmi un vivier de près de 300 millions de chercheurs d’emploi dans le monde, sur la base des profils et des CV partagés sur Indeed. À chaque fois qu’un utilisateur se connecte, l’IA recueille les préférences de chacun. Le fait de travailler sur une telle quantité d’informations permet de développer une connaissance approfondie des candidats et de leur adéquation avec les postes mis en ligne sur la plateforme. Le matching se fonde sur un grand nombre de critères – le parcours, mais aussi les mots-clés saisis, le temps passé sur telle ou telle annonce… Tout le monde est gagnant : le candidat reçoit une liste d’offres qui matchent, le recruteur une présélection de profils. Celui-ci peut ainsi consacrer davantage de temps à des tâches à plus forte valeur ajoutée, comme la rencontre stricto sensu de ces candidats.

Nous avons mis en place une équipe d’IA responsables pour pallier les biais du processus de recrutement. Les membres de l’équipe vont de l’astrophysicien au sociologue… Il s’agit aussi de ne pas « enfermer » les chercheurs d’emploi dans un seul et même métier. Si un candidat poursuit une carrière commerciale depuis plus de 20 ans, il peut avoir envie d’évoluer vers un autre domaine.

L’une des difficultés, dans la rédaction des offres, est également de savoir parler le langage de chaque métier. En utilisant les informations fournies par les employeurs, l’IA génère une ébauche de description de poste selon les réponses obtenues auprès du recruteur. L’ébauche peut ensuite être publiée telle quelle ou modifiée selon les besoins. L’outil mobilise également le machine learning pour étudier les comportements des candidats et les signaux d’embauche, afin d’adapter automatiquement l’annonce au fil du temps.

Quelles sont les grandes tendances qui se dessinent en matière de digitalisation et d’innovation dans le recrutement ?

La nouvelle vague d’applications, qui est en train d’arriver, repose sur des outils d’IA toujours plus évolués, ainsi que sur l’IA générative. Le recrutement sans diplôme, fondé sur l’analyse des seules compétences et du parcours, en fait partie. Ces nouvelles solutions rompent avec les habitudes historiques de recrutement de l’entreprise. Elles sont plus inclusives, plus diversifiées et sont force de proposition. Afin de profiter de la puissance de ces technologies, les recruteurs doivent être ouverts à son utilisation et investir du temps dans le choix des outils appropriés.

Retrouvez Éric Gras le 12 décembre, à 11h, pour décrypter les grandes tendances 2025 en matière d’attractivité et de recrutement à l’occasion de la table ronde « De la sélection à la séduction des talents : les grandes tendances 2025« .

> Retrouvez aussi notre dossier complet, alimenté au fil des publications. Il regroupera à terme tous les articles du Cahier de tendances.



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