Les nouveaux super-pouvoirs de la fonction RH


DRH de Talan
L’IA couplée à la data va permettre au DRH de prendre toute la mesure de son rôle stratégique, estime Nicolas Récapet, du groupe Talan, acteur majeur du conseil en innovation et transformation. Et ceux qui manqueront le coche se mettront en difficulté.
« Les RH sont ma 3e vie professionnelle », précise d’emblée Nicolas Récapet. Après des études d’ingénieur (Polytechnique Montréal, EPF), il dirige d’abord des opérations de supply chain dans différents secteurs – industrie, distribution spécialisée, transport, santé. Ensuite, il franchit son « premier Rubicon en devenant Partner au sein d’une société de conseil qui rejoint ensuite le groupe Talan ». Un Executive MBA HEC plus tard, 3e étape : il accepte de « créer un poste d’Executive VP qui réunit la RH, la RSE et la R&D », auxquelles s’ajouteront ensuite les fusions-acquisitions. Nicolas Récapet fait ainsi ses premiers pas dans la fonction RH à la tête d’un groupe international de 7 000 collaborateurs en forte croissance interne et externe.
« L’administratif devrait représenter 20 ou 30 % du travail des RH, estime Nicolas Récapet. Aujourd’hui nous sommes trop souvent autour de 90 %. » Pour le DRH de Talan, la relation entre PDG et DRH est déterminante : c’est elle qui permet à la fonction RH de prendre place « au cœur du réacteur de l’entreprise ». Mais la réciproque est aussi vraie : « le DRH doit s’imprégner des enjeux business, stratégiques et financiers de l’organisation. Le lien entre DRH et DAF est fondamental. Quand vous arrivez à démontrer que les RH sont créatrices de valeur, y compris financière, vous avancez beaucoup plus vite. »
Et pour être convaincant, il faut des chiffres. « La data est essentielle en RH. On peut avoir des perceptions, des intuitions qui ne sont pas corroborées par les chiffres. Les décisions doivent pouvoir s’appuyer sur des données fiables et à jour, et être évaluées pour enclencher une spirale vertueuse de test and learn. »
Sommaire
PRODUCTIVITÉ, SENS, PERSONNALISATION : LE TIERCÉ GAGNANT DE L’IA RH
IA et data RH transforment la fonction RH à au moins 3 niveaux, pour Nicolas Récapet. En accroissant d’abord la productivité du département RH, c’est-à-dire en lui permettant de faire plus rapidement ce qu’il faisait déjà. L’IA générative peut ainsi prérédiger des documents, comme une fiche de poste, ou réaliser des comptes rendus en temps réel. « Récemment, j’ai dû m’absenter quelques minutes d’une conférence en ligne en anglais », se souvient Nicolas Récapet. « Quand je suis revenu, le système m’a proposé un résumé en 5 points de ce qui avait été dit pendant mon absence, en français. »
L’IA permet ensuite de donner du sens à la data, de la rendre exploitable, et de la transformer en information synthétique pour éclairer la décision RH. « J’ai pu ainsi demander à l’IA de me générer un tableau des augmentations de salaire prévues chez nos concurrents, en distinguant augmentations collectives et individuelles. » Derrière, l’entreprise peut alors adapter sa politique de rémunération en fonction des vraies pratiques du marché pour éviter la fuite des talents. L’IA fait parler les données vite et bien.
Enfin, l’intelligence artificielle « change fondamentalement la capacité d’accompagnement RH et de personnalisation de l’expérience collaborateur et candidat, en matière de recrutement, de parcours de carrière, de développement des compétences ».
DES OUTILS POUR CRÉER ET SONDER L’AVENIR
Le centre de recherche et d’innovation de Talan travaille sur certains de ces sujets. « Nous avons une base où sont référencés plus de 6 000 métiers. Chacun a des risques associés, qui peuvent varier, pour un même métier, suivant les contextes et les types d’organisation. Nous sommes en train d’élaborer un programme fondé sur l’IA qui va nous permettre d’identifier, pour un emploi donné, les risques physiques et/ou psychiques que l’on peut rencontrer. »
L’exploitation du contenu des entretiens annuels ouvre des perspectives similaires en matière de gestion des évaluations et des carrières. Il en va de même pour la formation. « L’adaptive learning supposait la création d’arborescences de contenu complexes et lourdes. Nous travaillons sur une solution qui permettra de créer un contenu unique et personnalisé ex nihilo pour chacun. » C’est un enjeu de survie mais aussi de performance. « Si je suis capable, grâce à l’IA, de développer les compétences de mes collaborateurs mieux et plus vite que mes compétiteurs, je m’assure un avantage compétitif indéniable. » Cette systématisation de l’apprenance résout aussi le dilemme de la formation des talents : la crainte de les voir partir une fois formés n’est plus de mise. « Si vous ne formez pas vos collaborateurs, qui vous dit qu’ils ne vous quitteront pas quand même ? Alors qu’un salarié qui part en ayant eu une expérience collaborateur satisfaisante deviendra un ambassadeur. »
AVANCER PRUDEMMENT MAIS SÛREMENT
Bien sûr, il y a des précautions à prendre. La confidentialité d’abord : « Nous utilisons Microsoft Copilot, qui intègre ChatGPT 4 dans un espace sécurisé : les informations ne sortent pas. » Mais aussi la prudence vis-à-vis des résultats. « Il faut être très vigilant vis-à-vis de l’information remontée, en vérifiant les sources, ce que Copilot permet de faire. Quand j’ai interrogé l’IA générative sur nos propres intentions d’augmentation salariale, elle m’a donné des résultats erronés ! En réalité, la solution avait utilisé des moyennes du secteur… »
Il est d’autant plus essentiel de « comprendre comment les outils fonctionnent. Or les solutions IA bougent tous les jours : celles d’aujourd’hui seront obsolètes dans quelques mois. » D’où l’importance d’une veille constante, mais aussi d’une formation continue des équipes – notamment aux techniques du prompt. Enfin, l’humain doit rester en contrôle : il décide seul, assisté par l’IA. Alors, le DRH doit-il se former en profondeur sur l’IA et la gestion des données ? Pour Nicolas Récapet, cela ne fait pas de doute. « Nous ne sommes pas en présence d’un effet de mode, mais d’une révolution technologique qui bouleverse l’ensemble des métiers. Il est fondamental que la fonction RH s’empare de cette transformation pour en être l’un des moteurs. »
Quelle est la prochaine étape dans la transformation digitale de la fonction RH ? « Il faut déjà pleinement intégrer la transformation en cours. Nous allons passer de la phase d’inquiétude et/ou d’émerveillement à celle de l’industrialisation. Cela va prendre du temps. » Au-delà de cette période de montée en maturité, « nous allons de plus en plus vers une fonction RH augmentée. Les professionnels RH vont pouvoir s’appuyer sur ces technologies pour s’imposer comme force de proposition dans la définition et la mise en œuvre de la stratégie de l’entreprise ». Une chose est sûre : le métier de DRH ne sera plus jamais comme avant.
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Crédit photo : Christophe Boulze