« La confiance crée de la valeur humaine et économique »


Directrice Générale adjointe Great Place To Work
Les attentes autour de l’expérience collaborateur évoluent, selon Léa Binet-Ferté, directrice générale adjointe de Great Place To Work France, un des leaders de la QVCT et de la RSE. Mais la confiance en reste le marqueur fondamental.
Sommaire
Quels sont selon vous les principaux déterminants d’une expérience collaborateur de qualité ?
Le principal déterminant est la confiance. Au fondement de notre démarche, il y a la mesure de la relation de confiance que le collaborateur entretient avec ses managers, avec son collectif de travail et avec l’organisation dans son ensemble. Pourquoi ? Parce que la confiance est source de performance économique et sociale, contribuant notamment à réduire le turnover des salariés et l’absentéisme. Nous appuyons ce propos sur de nombreux travaux de recherche. Le second critère à considérer est la sincérité des engagements de l’organisation. Il est essentiel que l’expérience de travail soit authentique, c’est-à-dire que les messages portés en externe soient cohérents avec les politiques appliquées en interne, et avec le ressenti des collaborateurs. Pour construire cette relation de confiance et de sincérité, les engagements doivent être portés au plus haut de l’organisation, mais aussi par l’ensemble de la communauté managériale.
Ces déterminants évoluent-ils ?
La confiance et la sincérité sont des invariables. Mais, bien sûr, les attentes des collaborateurs ont beaucoup évolué ces dernières années, avec 4 tendances majeures. La première, c’est l’équilibre à trouver entre individualisation et collectif : au-delà du télétravail, les critères d’engagement sont de plus en plus individualisés, avec un impact potentiel sur la cohésion de l’organisation. C’est le rôle des professionnels RH de poser le cadre pour garantir l’équité et permettre aux managers de prendre des décisions justes. Deuxième tendance émergente : celle des managers « coachs », dont on attend de plus en plus le développement professionnel de leurs équipes. Nous constatons également une plus forte sensibilité à la justice : les politiques de diversité et d’inclusion sont désormais incontournables pour un employeur responsable. Simultanément, la transparence et l’équité de la politique de rémunération sont des sujets qui ont pris de l’importance ces dernières années. Dernière évolution : l’importance croissante du sens au travail. La communication sur la stratégie et les résultats est aujourd’hui un enjeu majeur. Les collaborateurs expriment le besoin d’être acteurs de la transformation de l’organisation.
Toutes les catégories de salariés ont-elles les mêmes exigences ?
La dimension la plus importante reste la rémunération, suivie du sens au travail, toutes catégories confondues. Néanmoins, on observe des nuances suivant les génération1s. Les moins de 35 ans sont davantage en demande de convivialité, tandis que les plus de 35 ans recherchent plus de conciliation entre vies personnelle et professionnelle, en lien avec leur situation familiale. Les millenials ont aussi une appétence tech plus forte, et souhaitent de l’autonomie et de la responsabilisation. Ils attendent des managers qu’ils les accompagnent et les aident à monter en compétences. Les seniors, en revanche, estiment souvent qu’ils reçoivent moins de feed-back et d’accompagnement que les autres salariés. Or, il est important de continuer à développer leurs compétences jusqu’à la fin de leur carrière, pour l’entreprise mais aussi pour la société : une fois sortis du marché du travail, les seniors sont très actifs dans le tiers secteur, et vont porter d’autres responsabilités.
L’expérience collaborateur gagne-t-elle du terrain dans les organisations ?
Il y a un biais de sélection pour Great Place To Work : les entreprises qui viennent à nous ont généralement déjà réfléchi à la question. Mais nous mesurons tout de même une évolution. D’abord, un nombre croissant d’organisations nous sollicitent pour mesurer l’expérience collaborateur – surtout des entreprises, mais aussi des associations et des structures publiques. Par ailleurs, de nouveaux acteurs ont rejoint la HR Tech ces dernières années : le marché s’est agrandi et les solutions se multiplient. Nous mesurons également un changement dans la qualité des échanges avec nos clients. Il y a une sensibilité de plus en plus forte au sujet. Le contexte tendu du marché du travail, le besoin de recruter et de fidéliser sur les métiers experts accélèrent cette évolution : les entreprises cherchent des moyens de se démarquer, de mieux comprendre les attentes des collaborateurs et des candidats. Le travail sur la marque employeur externe est beaucoup plus développé. Aujourd’hui, nous identifions un chantier important à mener sur les enjeux de santé mentale, un sujet qui a pris une grande importance depuis la période COVID. Seuls 56 % des salariés français estiment avoir une bonne santé mentale. Il faut davantage former les managers à ce sujet, les aider à activer les bons leviers. Les entreprises ne sont pas encore totalement matures sur la question.
Constatez-vous des approches différentes de l’expérience collaborateur ?
Je distinguerais 3 types de demandes parmi nos clients. Il y a d’abord les entreprises qui souhaitent valoriser leur marque employeur. Les dirigeants veulent identifier ce qui les différencie en mesurant l’expérience collaborateur, afin de rechercher les leviers d’engagement et de mobilisation pertinents pour leur organisation. Environ la moitié de nos clients s’inscrivent dans cette démarche. Nous les accompagnons suivant leur demande, mais nous leur rappelons que l’objectif est également l’amélioration continue de l’expérience collaborateur. Une deuxième catégorie d’entreprises se positionnent dans une attitude de benchmark. Elles souhaitent savoir comment elles se situent par rapport aux autres organisations dans une région du monde donnée, par rapport à certains concurrents, à la moyenne des salariés français… Enfin, certains clients recherchent avant tout de la data. Il s’agit de grandes structures qui vont utiliser les modèles statistiques et prédictifs que nous leur fournissons pour analyser et mesurer les facteurs de confiance, et anticiper les évolutions des attentes de leurs collaborateurs, au global et par catégorie.
Le digital et l’IA vont-ils révolutionner l’expérience collaborateur ?
Beaucoup de collaborateurs sont inquiets quant à leur employabilité, face à la transformation des métiers. Seuls 21 % des salariés français considèrent avoir un niveau de connaissance suffisant sur l’IA. Dans ce contexte, le rôle de la fonction RH est crucial. Elle doit être étroitement associée à la stratégie de l’entreprise en matière de digitalisation et d’IA, d’accompagnement au changement des métiers, de formation des managers et des collaborateurs. Cela va être essentiel dans les 3 à 5 années à venir.
Comment l’expérience collaborateur va-t-elle évoluer dans les années qui viennent ?
Le changement climatique va affecter tous les business models. Il se traduit déjà par des réglementations qui s’imposent à l’entreprise. La conjonction des transformations – climatiques, démographiques, technologiques, sociétales – va bousculer la manière dont les collaborateurs travaillent. Pour réussir ce virage, il faudra être capable d’embarquer les équipes. Selon le Trust Barometer d’Edelman pour 2024, l’entreprise reste l’institution qui inspire le plus confiance, devant les médias ou les gouvernements. Mais si 81 % des salariés français considèrent que leur entreprise a un rôle à jouer pour rendre la société meilleure, seuls 49 % considèrent que l’engagement RSE de leur entreprise est suffisant. Les dirigeants ont donc une responsabilité forte en matière d’éthique, ce qui suppose de prendre des engagements et d’en mesurer les effets. Je suis convaincue que l’expérience collaborateur va continuer à jouer un rôle majeur dans les organisations. Celles qui sauront faire face aux transformations seront celles qui écoutent leurs collaborateurs. Pas nécessairement celles qui auront fait tout ce que les salariés demandent, mais celles qui auront compris les messages principaux pour ajuster leur stratégie et mobiliser le corps social de l’organisation. C’est déjà indispensable aujourd’hui ; cela le sera encore davantage à l’avenir.
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- Sauf mention contraire, les chiffres cités dans l’interview proviennent de l’enquête « Great Insights » de Great Place To Work, réalisée auprès de 4 000 actifs français (janvier 2024). ↩︎