Bob Sinclar, l’authenticité et le grand bluff en entreprise

Il fallait y songer. Pour faire la promo de son dernier single, le DJ Bob Sinclar a osé l’impensable le concernant : apparaître méconnaissable, visage figé par une chirurgie esthétique aussi improbable qu’exagérée. Un coup de com’ magistral, qui a bluffé le public et nous a rappelé l’une des singularités de l’Homo sapiens du 21ème siècle : nous sommes fascinés par l’artificiel, tout en prétendant chercher et valoriser l’authenticité.
Un paradoxe qui ne concerne pas que le monde fabuleux du show business. L’entreprise, elle aussi, se nourrit de cette contradiction. On réclame des collaborateurs « vrais », « alignés avec leurs valeurs », « fidèles à eux-mêmes ». On les harangue à grand renfort de slogan fast-foodien « Venez comme vous êtes ! ». Mais dès qu’ils osent sortir du moule, on n’hésite pas à leur faire comprendre que la seule authenticité qui vaille, est celle qui cadre avec la culture maison.
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La grande mascarade du « sois toi-même »
Soyez authentiques, mais restez corporate. Prenez la parole, mais sans écorner le discours officiel. Dévoilez votre personnalité, mais évitez les aspérités. L’injonction à l’authenticité dans le monde du travail a parfois tout d’un filtre Instagram : une version améliorée de la réalité, calibrée pour être séduisante, mais surtout acceptable.
On valorise l’authenticité… à condition qu’elle soit performative. Être un salarié « vrai », ce n’est pas être transparent sur ses doutes ou ses désaccords. C’est surtout incarner les valeurs de l’entreprise avec enthousiasme. Traduction : si vous êtes Love Generation, tout va bien. Mais si vous êtes plutôt World, Hold On, que vous exprimez des critiques ou un mal-être, l’enthousiasme peut vite faire pschitt.
Le syndrome du masque professionnel
Résultat ? Comme Bob Sinclar sous son lifting fake, beaucoup enfilent un masque au travail. Un sourire de façade, un enthousiasme calibré, une personnalité lissée pour coller aux attentes des N+1 et consorts. Pas par hypocrisie, mais par nécessité. Parce qu’être trop vrai peut coûter cher.
Spoiler : se forcer à ne pas l’être aussi…. la faute à une santé mentale qui en prend un sacré coup (ou coût… au choix).
Et si, à force de polir les personnalités, on finissait par brider les talents ? Si l’entreprise favorisait, consciemment ou inconsciemment, les profils capables de jouer un rôle attendu, au détriment de ceux qui apportent une vraie richesse par la diversité de leurs approches ?
Retirer les filtres, pour de vrai
Alors, comment mettre un terme à ce bal masqué auquel « on danse, on danse, on danse » …. mais sur le mauvais pied ?
- Dire stop à l’injonction paradoxale pour laisser une vraie place aux voix dissonantes, aux styles variés, aux approches singulières ;
- Ne pas confondre culture d’entreprise et clonage car l’engagement et le sentiment d’appartenance ne se décrètent pas. Ils se construisent par la confiance. Pas par le formatage ;
- Valoriser la sincérité, même quand elle dérange. Une entreprise qui accepte les feed-backs authentiques, dissonants, incommodants grandit plus vite qu’une boîte où tout le monde dit ce qu’on l’on attend (et que l’on sait déjà).
Bob Sinclar a piégé tout le monde avec son lifting factice. Dans l’entreprise, ne tombons plus dans le guet-apens de l’authenticité de façade, car à force d’encourager le storytelling plus que la sincérité, nous ne ferons que récolter un immense Sound of Freedom, où chacun ne rêvera que d’une chose : partir, partir…
« … Même loin de quelqu’un ou de quelqu’une – Même pas pour aller chercher fortune – Oh partir sans rien dire… » (Extrait de la chanson « Partir » (Jean-Loup Dabadie / Julien Clerc))
Crédit photo : Image extraite du clip de Bob Sinclar « Take it Easy On Me » (capture d’écran Youtube)