Egalité femmes-hommes en entreprise : un chantier en construction

L’égalité femmes-hommes a été désignée grande cause nationale du quinquennat. D’ici 2022, la France devrait donc enregistrer des avancées significatives en la matière, notamment sur la question de l’égalité salariale, à travail égal. Quel rôle peut jouer la fonction RH dans ce processus ? Quels sont les efforts à fournir ? Comment innover davantage sur la question de l’égalité dans l’entreprise ?

L’égalité femmes-hommes en entreprise figure dans le Code du travail depuis 1972. Quarante-six ans plus tard, l’inégalité est bien loin d’être résiduelle :

  • sur la question des salaires, avec une différence constatée par le ministère du Travail de 25,7 % en moyenne à la défaveur des femmes (9 % à poste équivalent) ;
  • à propos du temps partiel subi, qui concerne 3 fois plus les femmes que les hommes (respectivement 1,2 million de femmes et 472 000 hommes d’après l’Insee) ;
  • au sujet du plafond de verre. La part des femmes à des postes de direction passe à peine la barre des 30 % d’après une étude publiée en février 2018 par l’OCDE (« Atteindre l’égalité femmes-hommes, un combat difficile »).

Cela fait désormais près d’un demi-siècle que l’égalité femmes-hommes en entreprise existe donc… sur le papier. Comment se fait-il que les femmes sont toujours considérées comme des seconds couteaux sur le marché du travail alors même que selon l’étude « Education at a Glance 2015 » de l’OCDE, elles sont 34,05 % à être diplômées d’études supérieures (30,07 % pour ces messieurs)  ?

 

Politique inchangée, égalité femmes-hommes à la Saint-Glinglin

Que l’on se rassure, l’heure du changement est – au moins – annoncée. D’après le Forum économique mondial, l’éveil devrait survenir en 2186. Cela fait quarante-six ans que le dossier fait son chemin en France, nous ne sommes donc pas à cent soixante-huit années près apparemment. Pourtant, le législateur ne baisse pas les bras avec :

  • la loi du 27 janvier 2011, dite loi Copé-Zimmermann, pour une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration ;
  • la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ;
  • la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi ;
  • ou encore la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

Les entreprises encourent même des amendes : 1 % de la masse salariale et une interdiction de soumission aux marchés publics en l’absence d’accord ou d’un plan d’égalité salariale par exemple. Or, selon la Direction générale du travail (DGT), en 2016, 61,4 % des entreprises n’en sont toujours pas pourvues quand 0,2 % des sociétés de 50 salariés et plus sont finalement sanctionnées. Les « efforts » réalisés ne suffisent pas. La France doit-elle se contenter de cette situation ?

 

La fonction RH au cœur des enjeux d’égalité

Comment la fonction RH peut-elle prendre en main ce dossier stratégique ? D’autant plus qu’elle est elle-même victime de cette disparité. Le baromètre semestriel « Marché de l’emploi et rémunération des cadres RH » réalisé par l’ANDRH et l’Apec et dévoilé en novembre 2017, souligne que malgré une forte féminisation de la fonction – 80 % des cadres RH sont des femmes (37 % pour l’ensemble des fonctions cadres) – cela n’empêche nullement les inégalités salariales. Dans le développement des RH, l’écart moyen est de 12 % quand il atteint 20 % dans la direction des RH où 65 % des postes sont occupés par des femmes. Le cordonnier serait donc lui aussi mal chaussé.

Avant de savoir comment la fonction RH peut s’y prendre pour renverser la vapeur, arrêtons-nous un instant sur les causes de ces écarts, tous secteurs et métiers confondus. En effet, les femmes sont pénalisées parce qu’elles interrompent plus souvent leur carrière que les hommes, que ce soit suite à une maternité ou pour s’occuper d’un parent (56 % des aidants sont des femmes d’après le baromètre 2017 de la fondation APRIL). Lorsqu’elles reprennent une activité, c’est souvent à temps partiel (Insee, 2013). De plus, elles occupent majoritairement des postes dans des secteurs peu valorisés comme l’action sociale, et donc moins rémunérateurs.

Pour bouger les lignes et tenter de « grignoter » quelques années sur les lustres annoncés qui nous séparent de l’égalité, des initiatives fleurissent sur tout le territoire. L’objectif : changer les mentalités. On s’attaque aux stéréotypes de genre en visitant les établissements scolaires pour expliquer aux jeunes filles qu’elles peuvent ambitionner des carrières dans les métiers de l’industrie, de la défense, du bâtiment, des transports, de l’aéronautique et tout autre secteur dit masculin. Des entreprises allouent des enveloppes budgétaires pour compenser les écarts de salaire. Déjà en 2006, Axa France avait mobilisé 750 000 euros sur trois ans en faveur de l’égalité salariale femmes-hommes. Des femmes sont accompagnées pour leur permettre de prendre conscience de leur potentiel par le biais du coaching et du mentoring. Malgré ces premiers pas, plus que louables, les discriminations persistent comme en témoignent les éléments chiffrés cités précédemment.

 

2022, début d’une nouvelle ère ?

L’espoir, lui, est bien entretenu. Fin 2017, le président Emmanuel Macron a déclaré officiellement grande cause nationale du quinquennat l’égalité entre les femmes et les hommes. En mars 2018, c’est Edouard Philippe en sa qualité de Premier ministre qui prenait le relais. Dix mesures doivent conduire à réduire significativement l’écart salarial d’ici trois ans, tout du moins les 9 % de différence qui subsistent à poste équivalent. L’Etat ne légifère pas en la matière, mais formule des propositions.

Parmi elles, un logiciel obligatoire d’ici 2020, intégré en surcouche à la solution de paie, pour évaluer les écarts de salaires. En cas de non-respect de l’égalité, les entreprises devront consacrer une enveloppe dite de rattrapage. A partir de 2022, si les lignes n’ont pas bougé, l’inspection du travail pourra imposer une obligation de résultat sous peine d’une amende pouvant atteindre jusqu’à 1% de la masse salariale. Les sociétés devront même faire preuve de transparence en indiquant sur leur site Internet le pourcentage d’écart de salaire injustifié et les résultats obtenus en matière d’égalité salariale.

Là où le bât blesse ? Les contrôles de l’inspection du travail vont être renforcés, passant de 1 700 environ à 7 000, mais le nombre d’agents, lui, ne va pas augmenter… De plus — et c’est probablement le point le plus dérangeant —, ce dispositif ne concerne que les entreprises de plus de 50 salariés (et dans un premier temps celles de plus de 250 salariés). Or, le moteur économique français est incarné par ces petites et moyennes entreprises qui représentent plus de 90 % des organisations et 48 % de l’emploi salarié (Insee, 2016). Le gouvernement compte sur la bonne volonté des acteurs.

Cela veut-il dire que nous sommes repartis pour cinquante ans d’inertie ? Non, car la révolution culturelle est bel et bien en cours. L’opinion publique évolue sur la question de l’égalité femmes-hommes. D’après l’étude Workforce View 2018 d’ADP, plus de 30 % des salariés français s’accordent sur la nécessité d’un reporting sur les inégalités salariales entre femmes et hommes au sein de leurs entreprises. 75 % des Français estiment que les femmes sont toujours pénalisées dans leur carrière par rapport aux hommes, souligne un sondage ViaVoice pour RTL et France 2, dévoilé en mars 2018. 80 % des Français sont favorables à la mise en place de mesures coercitives à l’encontre des entreprises pour lutter contre les inégalités au travail. Ces voix se doivent d’être entendues. L’inégalité salariale coûte cher à notre économie : 0,16 % de point de croissance par an en moins d’après la Fondation Concorde, qui estime le manque à gagner à 33,6 milliards d’euros par an.

 

Des paroles aux actes

La fonction RH et le législateur doivent faire preuve de courage. La première pourrait se fixer des objectifs clairs, dresser une liste d’indicateurs fiables auxquels se référer (les salaires bien sûr, les évolutions de carrière…) et jouer le jeu d’une certaine transparence pour permettre aux salariés de se positionner. Pour le second, il apparaît primordial de poursuivre les efforts en étendant les mesures citées plus haut à toutes les entreprises quelle que soit leur taille, à légiférer pour faire progresser la société et l’éduquer. Par exemple, dans un souci d’équité, le congé de paternité pourrait être rallongé et imposé. Les DRH devancent d’ailleurs le législateur sur ce type de question. Par exemple, Netflix propose le congé maternité et paternité illimités la première année après la naissance ou l’adoption de l’enfant. Preuve que la fonction RH n’est pas simplement en train d’attendre la nouvelle directive qui fera avancer les choses.

 

« Egalité femmes-hommes en entreprise : un chantier en construction » est une tribune co-signée par Thomas Chardin et Aurélya Bilard dans les colonnes de la revue Personnel de l’ANDRH dans le dossier #EgalPro du numéro 588 de juin 2018. Nous vous invitons à consulter les actualités en ligne de la revue ici.

 

Journaliste, Aurélya multiplie les expériences au sein de startups et pure players, avant de s’orienter vers le brand content en freelance. Après avoir traité de nombreux sujets dans les domaines du recrutement et de la formation pour le compte d’un jobboard, elle rejoint Parlons RH en tant que rédactrice RH. Diplômée d’une Licence d’Histoire à la Sorbonne, elle est aussi titulaire d’un Certificat de qualification aux métiers du journalisme (ESJ Paris).

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